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LES LECONS DU PONT

À une semaine du deuxième blitz de travaux sur le pont Pierre-Laporte, François Bourque revient sur le bilan du premier chantier, nettement moins catastrophique que prévu.

FRANÇOIS BOURQUE CHRONIQUE fbourque@lesoleil.com

Le blitz de travaux au pont Pierre-Laporte à la fin juin a montré la formidable capacité d’adaptation des citoyens et employeurs de la région de Québec.

Privés pendant une semaine de quatre des six voies d’autoroute pour traverser le fleuve, automobilistes et travailleurs se sont débrouillés autrement. Ont renoncé à traverser, ont changé leur route ou leur horaire.

Qu’on ne se trompe pas, il y a eu de la congestion aux abords des ponts cette semaine-là. Plus qu’à l’habitude pour cette période de l’année.

Mais beaucoup moins que ce à quoi le ministère des Transports s’attendait.

Au moment où le MTQ s’apprête à lancer un second blitz de travaux la semaine prochaine, il est utile de revenir sur le bilan des premiers travaux.

Ceux qui ont vu ( ou espéraient voir) dans ce chantier une démonstration supplémentaire du besoin impératif d’un troisième lien n’y trouveront rien de très convaincant.

Voici d’abord quelques faits :

› La baisse de débit au pont Laporte fut spectaculaire : 60 % de véhicules en moins pendant la semaine des travaux, soit 48 000 par jour au lieu des 134 000 en cette période de l’année.

Cela représente 86 000 véhicules de moins. En tenant compte des allers- retours, cela suggère qu’environ 43 000 citoyens ont renoncé chaque jour au pont Pierre-Laporte.

› Un seul accident sur le pont Laporte pendant toute la semaine de travaux (il s’est produit à 10h50 le samedi matin 3 juillet). Le MTQ a ici joué de chance. «Une belle surprise», commente Patrick Houle, directeur de l’exploitation au MTQ pour Chaudière-Appalaches. La voie a été rouverte 10 minutes plus tard.

› Le «bon comportement » des citoyens a permis de maintenir un débit de 1300 véhicules à l’heure sur chacune des voies de circulation restées ouvertes. C’est à peine moins que le rythme de 1600 ou 1700 habituels, malgré les distractions et obstacles.

› Au pire de la congestion, le mercredi 30 juin, on a compté à un certain moment jusqu’à une heure d’attente pour traverser. Assez pour s’impatienter, mais loin des délais redoutés.

On s’était inquiété pour les véhicules d’urgence. Les corridors et assistances policières ont bien joué leur rôle. Assez que des ambulances et autobus de Lévis ont réussi parfois des traversées plus rapides qu’en temps normal.

› Le MTQ avait choisi le «meilleur moment » pour ses travaux, car la «fenêtre» est limitée.

On attend la fin des classes pour que les heures de pointe se calment.

Il faut avoir terminé avant le retour à l’école à la fin août. Et on veut éviter les vacances de la construction, période de l’année où les débits de circulation sont les plus élevés.

Cela laisse deux plages propices aux travaux : une à la fin juin/début juillet et l’autre au début août. Ce sont les dates qu’avait retenues le ministère des Transports pour refaire la chaussée du pont Pierre-Laporte.

Je retiens cinq leçons qu’on pourrait tirer des travaux de la fin juin :

1SE PRÉPARER AU PIRE

Le ministère s’était préparé au pire et avait mis toutes les énergies à le faire savoir.

Pas par machiavélisme, par plaisir de dramatiser ou par une «stratégie de peur ». C’est juste que c’est ainsi qu’on fait les choses en matière de sécurité publique.

On doit envisager le pire et planifier des mesures et effectifs pour couvrir tous les cas de figure.

«Si on ne vous l’avait pas dit, les gens nous l’auraient reproché : pourquoi vous ne nous l’avez pas dit [qu’il y aurait de la congestion]», fait valoir la porte-parole du ministère, Émilie Lord. «On a averti les gens, on a bien fait», estime le ministère.

En effet, on aimait mieux le savoir que le découvrir seulement lorsque coincés dans les approches du pont.

Reste que faire peur est un procédé efficace en gestion de circulation.

Lors des premières rencontres de planification des travaux au pont Laporte, l’automne dernier, un participant a rappelé la «stratégie» de Québec 84. Un peu à la blague, mais pas tant que ça.

Cette année- là, les organisateurs avaient prévenu les visiteurs qu’ils devraient stationner à… Drummondville et prendre des navettes tant Québec allait être congestionnée.

Ils attendaient, imaginez-vous, six millions de visiteurs. Probable que certains ont eu peur (ou étaient moins intéressés par les grands voiliers qu’on semblait le croire).

Il en est venu trois fois moins et il n’y a pas eu de congestion à Québec cet été-là, sauf lors de quelques grands événements.

Ce qu’il y a de bien à prévoir le pire, c’est qu’il est possible ensuite d’alléger ou « désescalader » les mesures si ce pire n’arrive pas.

Le MTQ a constaté par exemple que le corridor de l’autoroute 20 permettant aux voyageurs de l’Est en route vers Montréal d’échapper à la congestion n’aurait sans doute pas été nécessaire.

Lors de la reprise des travaux en août, le MTQ sera prêt à réactiver ce corridor au besoin, mais il est possible qu’il attende pour voir si c’est vraiment nécessaire.

Autre exemple : j’ai compris que les policiers auxquels il aurait été possible de faire appel n’ont pas tous été déployés pendant la totalité des travaux.

2 CHANGER

LES HABITUDES POUR RÉDUIRE LA «DEMANDE»

Il est connu qu’une meilleure gestion de la «demande» peut contribuer à atténuer la congestion des heures de pointe. On pense ici au télétravail, horaires décalés, etc.

La pandémie a été pour cela un formidable laboratoire. « On ne pensait pas être capable de faire autant de télétravail » , observe Patrick Houle, du MTQ. Ça a été un «atout » pour réduire le nombre de véhicules. Probablement le facteur le plus important, suggère-t-il.

L’organisation des entreprises a aussi joué un «rôle important dans le succès du projet ».

Des entreprises ont payé des chambres d’hôtel pour éviter à des employés de traverser le pont. D’autres ont modifié les horaires.

On ne peut pas s’attendre à ce que des employeurs payent des hôtels à l’année pour éviter à des employés de traverser le fleuve.

Mais la preuve est convaincante que le télétravail et des horaires de travail et de cours décalés peuvent réduire la congestion en heures de pointe.

3TRANSPORT COLLECTIF : UN POTENTIEL SOUS-UTILISÉ

› Les autobus. La Société de Transport de Lévis ( STL) avait prévu accroître son service pendant les travaux : trajets supplémentaires, autobus articulés vers la Rive-Nord, corridors réservés allongés, tarifications réduites.

«On avait même envisagé louer à Montréal des autobus articulés», rapporte le directeur général JeanFrançois Carrier. « Le MTQ nous avait dit : préparez-vous». La STL a entendu et était prête.

Les résultats furent cependant modestes.

La STL a transporté vers la RiveNord 3900 personnes par jour pendant les travaux. Deux fois plus que pendant le mois de juin pandémique de 2020. Mais moins que lors d’une année normale comme 2019 (6700).

La STL a aussi vendu 150 passeports métropolitains de plus (hausse de 25 %) pour un accès aux autobus STL et RTC et au traversier.

Les mesures n’ont «pas beaucoup servi», analyse M. Carrier. « Le système pouvait en prendre plus […] Le vrai test sera en août. C’est ce qu’on redoute».

Peut-être la congestion n’a-t-elle pas fait assez mal en juin pour inciter à prendre le transport en commun.

J’y vois deux bonnes nouvelles : 1) les gens n’ont pas trop souffert. 2) Si ça devenait plus compliqué en août, il y a un potentiel sousexploité d’améliorer son sort et d’échapper au trafic en prenant l’autobus.

› La Société des traversiers rapporte une baisse de 58 % des passagers par rapport à la même période en 2019. La pleine capacité du bateau (590 passagers) n’a jamais été atteinte lors des 428 traversées effectuées pendant la période des travaux au pont Laporte.

On peut y voir un effet direct de la popularité du télétravail.

On peut aussi penser qu’un traversier centre-ville à centre-ville n’était pas une solution attrayante pour les citoyens dont les lieux d’origine et de destination sont principalement dans l’ouest du territoire.

La baisse a été beaucoup moins importante pour les voitures (seulement 9 %).

On s’est cependant ennuyé du deuxième traversier lors des heures de pointe.

Assez que des véhicules ont été laissés à quai lors de 43 traversées, faute de place sur le bateau (capacité 54 véhicules).

Ce fut le cas notamment le 30 juin et le 1er juillet, jours où la congestion sur les ponts fut importante.

Le choix de retirer un des bateaux de la ligne Québec-Lévis le même été que les travaux majeurs au pont Laporte n’étaient pas la décision la mieux inspirée de la Société des traversiers. Une autre, a-t-on envie de se dire.

4 MIEUX UTILISER LE PONT DE QUÉBEC

Il y a longtemps que le ministère souhaite utiliser davantage le pont de Québec pour atténuer la congestion au pont Laporte, rappelle M. Houle du MTQ. Les travaux de cet été furent l’occasion de le tester.

Résultat : près de 47 000 véhicules par jour ont pris le pont de Québec cette semaine-là (+ 34 %). Une pointe à près de 55 000 (+ 56 %) a été mesurée le mercredi.

Cet achalandage accru n’a pas empêché de pouvoir activer un corridor d’urgence dans la voie centrale du pont de Québec pour le passage d’ambulances. (il y en a eu 3 ou 4 par jour).

L’invitation à changer d’itinéraire semble aussi avoir eu un impact au pont Laviolette à Trois-Rivières : hausse de circulation de 18 % pendant la dernière semaine de juin avec une pointe de + 27 % le mercredi 30.

Des voyageurs et camions lourds en provenance de Montréal ont probablement traversé le fleuve à Trois-Rivières plutôt qu’à Sainte-Foy.

D’autres ont sans doute fait tout le trajet depuis Montréal par la 40 plutôt que la 20, suggère M. Houle. Il n’y a cependant pas de données à cet effet.

5 OFFRIR PLUS D’INFORMATION EN TEMPS RÉEL

À partir du mercredi 30 juin, le MTQ a pu afficher en «temps réel» le nombre de minutes d’attente pour chaque pont sur ses « panneaux dynamiques » en bordure des routes. Une première qui pourrait devenir pratique permanente.

Au lieu de lire par exemple «Pont Pierre- Laporte : congestion » et « Pont de Québec : circulation fluide», on a pu lire les temps d’attentes projetés. Ex. : 45 minutes pour le pont Pierre- Laporte; 25 minutes pour le pont de Québec.

Déployé pour la première fois le 30 juin, le système a vite donné des résultats. «C’est très très gagnant », commente Patrick Houle du MTQ.

Assez que le ministère envisage de rendre l’information disponible en permanence. La décision finale n’est pas prise encore, mais l’intérêt semble évident.

La mesure a cependant ses limites. L’annonce d’un temps de traversée plus rapide sur le pont de Québec aura pour effet d’y détourner une partie de la circulation. Le pont de Québec et ses approches pourraient vite s’en trouver encombrés. Il y aura un équilibre à maintenir.

Il n’est pas possible de prédire le niveau de congestion de la seconde phase de travaux au début août sur la base des résultats du premier blitz de la fin juin.

Sur papier, les débits de circulation au début août (33e semaine de l’année) se comparent à ceux de la fin juin (27e semaine). 138 000 par jour en août, 134 000 à la fin juin.

Sur cette base, on pourrait s’attendre à un même niveau de congestion qu’en juin, mais c’est le comportement et les choix des citoyens qui détermineront les résultats.

On a constaté que ceux-ci avaient une grande capacité d’adaptation lorsque privés de leurs voies d’autoroutes habituelles.

Mais on a constaté aussi que cela est fragile. Il a suffi que les deux premières journées de travaux (lundi et mardi) soient moins congestionnées pour que dès la troisième, les citoyens reprennent la route en se disant : ça y est, tout se passe bien finalement, on peut y aller.

Cette troisième journée, celle du mercredi 30 juin, fut la plus congestionnée.

Cela illustre encore une fois le phénomène de la demande induite.

Lorsqu’on ajoute ou dégage une voie de circulation, les véhicules s’y précipitent et finissent par l’engorger.

Et dans le cas contraire où on retire ou condamne une voie, les citoyens trouvent d’autres chemins, d’autres moyens ou d’autres heures pour circuler en évitant la congestion.

Quel est le plan d’urgence advenant une fermeture complète ou définitive du pont Pierre-Laporte ou du pont de Québec? Advenant un séisme par exemple, un attentat, bris ou accident majeur?

J’avais posé la question au ministère des Transports (MTQ) à la fin de l’été 2019. J’anticipais une partie de la réponse.

On allait me dire que s’il arrivait malheur à un des ponts, on réserverait l’autre au transport en commun et aux véhicules d’urgence. On ajouterait des traversiers, des trains sur le pont de Québec peutêtre. Que la circulation devrait être détournée, etc.

La réponse du MTQ m’a un peu dérouté. Un « non» catégorique et sans nuance.

«La divulgation de ces documents aurait pour effet de réduire l’efficacité d’un plan d’action ou d’un dispositif de sécurité destiné à la protection d’un bien ou d’une personne», m’at-on répondu.

Le même motif (et d’autres) pour lequel toutes les demandes d’accès aux plans d’urgence des ponts Laporte, Québec et Laviolette ont toujours été refusées explique le MTQ.

Pas convaincu, j’ai demandé à la Commission d’accès à l’information (CAI) de réviser cette décision. Une première selon le ministère. Jamais un refus d’accès aux plans d’urgence des ponts n’avait jusque là été porté en appel devant la CAI.

Une première audition a eu lieu l’automne dernier; une seconde ce printemps.

Peu avant l’audition de l’automne, le MTQ m’a transmis une table des matières et des extraits du Plan d’urgence qui fait 262 pages avec cartes, annexes, organigrammes, listes de partenaires, etc.

L’essentiel du document était cependant caviardé. J’ai donc décidé de maintenir ma demande de révision.

Pendant les auditions, la juge Guylaine Giguère a obtenu que le MTQ me transmette d’autres extraits des documents.

Les portions que j’imagine les plus consistantes restaient cependant inaccessibles. Il appartiendrait à la juge de trancher.

Celle- ci a rendu sa décision le 25 juin. Par coïncidence, la veille de l’entrée en force des mesures du MTQ pour atténuer l’impact de la fermeture de quatre des six voies du pont Laporte.

La juge Giguère y maintient pour l’essentiel que la plupart des extraits caviardés doivent le rester pour ne pas compromettre l’efficacité du plan d’urgence.

Je respecte cette décision. La juge a vu l’ensemble des documents. Moi pas. Je suis convaincu qu’elle a fait un travail minutieux et est allée au maximum de ce qu’elle croyait possible de faire.

J’avais plaidé devant la CAI que le public gagnerait à connaître à l’avance les modalités du plan d’urgence. Cela lui permettrait d’être rassuré peut-être et de savoir déjà quoi faire le jour où ce plan serait activé.

De toute façon, ces mesures seront ce jour-là rendues publiques par le MTQ. Quel est le risque à le diffuser à l’avance?

J’ai d’ailleurs l’intuition qu’une partie du plan a été déployée lors du récent blitz des travaux au pont Laporte.

J’étais conscient que la diffusion des noms, coordonnées et autres informations spécifiques sur les personnes responsables du plan d’urgence pouvait poser problème. J’y ai renoncé d’office.

De son côté, le MTQ a plaidé la crainte que la divulgation du plan puisse en compromettre l’efficacité et mettre en danger la sécurité des utilisateurs du pont. Il craignait aussi que cela expose la « vulnérabilité» du plan d’urgence et produise des conséquences en «cascade».

Des personnes ou organisations mal intentionnées pourraient interférer avec les mesures prévues. En s’attaquant par exemple aux voies de contournement.

Sans m’attarder à tous les détails, voici ce qu’on trouve dans les portions du plan auxquelles j’ai eu accès :

› liste des partenaires et description du rôle et responsabilités de chacun;

› description de la chaîne de commandement, des actions et communications internes à activer en cas de fermeture d’un des ponts;

› données de circulation; › rappel des procédures de prévention déjà en place. Ex. : clôtures pour limiter l’accès aux piliers et câbles

des ponts; barbelés, téléphones d’urgence, etc.;

› inventaire des événements possibles : accident aérien, ferroviaire, routier ou maritime; blocus de route; conditions climatiques difficiles; déversement de matières dangereuses; objet suspect; incendie ou explosion; tremblement de terre, chutes de lignes à haute tension; affaissement.

› gradation des mesures selon la gravité de l’événement;

› procédures de rétablissement de l’accès aux ponts; etc.

Dans toutes les pages auxquelles j’ai eu accès, je n’ai rien vu qui vous étonnerait ou ouvrirait la porte à de grands débats.

Rien non plus qui nous en apprenne beaucoup sur ce qui se passerait si un des ponts tombait ou devenait inaccessible.

Rien vu non plus, évidemment, qui pourrait nuire à la mise en oeuvre du plan d’urgence.

D’où cette question : pourquoi avoir refusé de donner accès à ces pages au début?

Pourquoi a-t-il fallu la pression d’une audition en Commission d’accès pour que le ministère des Transports se décide à examiner le document demandé pour découvrir qu’une partie de l’information ne posait pas problème?

Il a été mis en preuve devant la CAI que cet exercice de tri des informations n’avait pas été fait au MTQ lors de ma demande initiale.

Par habitude, par paresse, par manque de ressources ou par insouciance pour l’intérêt public? Allez savoir.

On a dit non parce que c’était facile de dire non.

Le MTQ a invoqué plusieurs articles de la Loi pour justifier ce refus global. À l’analyse, la majorité de ces motifs tenaient difficilement la route. Si bien que le MTQ a fini par les laisser tomber rendu au tribunal pour ne retenir que le motif du risque de nuire à l’application du plan.

C’est souvent ce qui est le plus exaspérant avec l’utilisation qui est faite de la Loi sur l’accès à l’information.

Ce réflexe de dire non, sans toujours faire l’effort de trier l’information et de rendre accessibles les portions de document qui pourraient l’être. Cette culture du secret mal placé finit par détourner l’esprit de la Loi sur l’accès.

LA UNE

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2021-07-31T07:00:00.0000000Z

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