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AUTOPSIE D’UN «ÉCHEC»

SYLVIE LANTEAUME ET PAUL HANDLEY Agence France-Presse

WASHINGTON — Mensonges, vanité des généraux, stratégies à court terme, objectifs irréalistes... À l’approche du retrait des dernières forces étrangères d’Afghanistan, les conclusions des experts sur les raisons de l’échec américain après 20 ans de guerre sont sans appel.

Les États-Unis ont eu «la vanité de croire que nous pouvions prendre ce pays qui était dans un état de désolation en 2001 et en faire une petite Norvège», s’est exclamé jeudi l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan, John Sopko, dans une tirade passionnée sur les raisons de la «sombre» situation du pays.

«Nous sommes arrivés en Afghanistan avec l’idée de créer un gouvernement central fort. C’était une erreur », a ajouté M. Sopko, chargé depuis 2012 par le Congrès de suivre l’utilisation des fonds américains dans cette guerre.

Les experts savaient que le pays n’était pas adapté à une telle structure de gouvernement, mais « personne ne les a écoutés», a-t-il regretté.

Les généraux qui se sont succédé en Afghanistan se sont fixé des objectifs à court terme pour pouvoir revendiquer un succès à leur départ deux ou trois ans plus tard, alors qu’il aurait fallu donner du temps aux efforts de reconstruction en prêtant attention aux défis logistiques posés par ce pays où seulement 30 % de la population a de l’électricité 24 heures sur 24, a-t-il ajouté.

L’inspecteur général a accusé les généraux d’avoir dissimulé l’étendue des problèmes.

« Chaque fois que nous allions dans le pays, les militaires changeaient d’objectifs, pour que ce soit plus facile de revendiquer un succès», a-t-il ajouté. « Et quand ils n’ont plus pu le faire, ils ont classé les objectifs secret-défense».

« Ils savaient à quel point l’armée afghane allait mal » , a- t- il poursuivi. Ceux qui avaient accès aux documents secret- défense le savaient aussi, «mais l’Américain moyen, le contribuable moyen, l’élu moyen, le diplomate moyen ne pouvaient pas savoir ».

«ENVAHISSEURS»

Pour Carter Malkasian, un ancien responsable du Pentagone qui vient de publier un livre sur l’histoire de la guerre en Afghanistan, «il ne fait aucun doute que nous avons perdu la guerre».

Pour cet expert qui a notamment conseillé l’ancien chef d’état-major Joseph Dunford, les talibans ont démontré leur volonté de combattre les «envahisseurs», tandis que l’armée afghane apparaissait comme vendue aux étrangers.

«La simple présence d’Américains en Afghanistan bafouait l’idée d’une identité afghane fondée sur une fierté nationale, une longue histoire de lutte contre les envahisseurs et un engagement religieux à défendre la patrie», écrit M. Malkasian dans son ouvrage.

« Nous pensions que certaines choses étaient possibles en Afghanistan : vaincre les talibans ou permettre au gouvernement afghan d’être indépendant » , ajoute- t- il. « Elles ne l’étaient probablement pas».

De plus, note-t-il, «la police et les soldats ne voulaient pas risquer leur vie pour un gouvernement qui était corrompu et qui avait tendance à les négliger».

«RANCOEUR» DU PEUPLE AFGHAN

Un récent rapport de l’organisation Human Rights Watch souligne qu’en ne se souciant pas suffisamment des victimes civiles des frappes aériennes ou des abus perpétrés par des chefs de guerre alliés des Occidentaux, la coalition s’est mis à dos le public afghan.

« La tendance des États- Unis à donner la priorité aux gains militaires à court terme et non à la création d’institutions véritablement démocratiques ou à la protection des droits fondamentaux a porté un coup mortel à la mission américaine et à tous les efforts de reconstruction de l’après 2001», selon HRW.

« La rancoeur et la méfiance de la population à l’égard des ÉtatsUnis et du gouvernement afghan ont largement permis aux talibans de gagner du terrain», ajoute l’organisation.

Pour John Sopko, les États-Unis se sont comportés en Afghanistan comme ils l’ont fait en Irak et comme ils l’avaient fait au Vietnam.

« Ne croyez pas les généraux, les ambassadeurs ou les responsables de l’administration qui vous disent : on ne le fera plus», a lancé l’inspecteur général.

«C’est exactement ce que nous avons dit après le Vietnam : on ne le fera plus. Ô surprise, on a fait l’Irak. On a fait l’Afghanistan. On le refera.»

LE MONDE

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2021-07-31T07:00:00.0000000Z

2021-07-31T07:00:00.0000000Z

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