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DES MEUBLES EN CARTON, POURQUOI PAS?

LAILA MAALOUF

Ils sont solides, écologiques, plus durables qu’on pourrait le croire et hyper design. Mais les meubles en carton sont loin d’avoir cartonné, justement, comme s’y attendaient stylistes et décorateurs il y a quelques années. Alors qu’ils avaient disparu des radars, voilà qu’ils ont fait débat à Tokyo peu avant le lancement des Jeux, lorsque les athlètes ont découvert que leurs lits étaient faits en carton. « Il y a 10 ans, on commençait à voir des meubles en carton. Il y avait même une entreprise québécoise qui n’existe plus et qui s’appelait Toytoy, qui faisait des meubles en carton pour les enfants. J’étais persuadée que ça allait être une avenue qui allait se développer de plus en plus. Et bizarrement, jusqu’à l’histoire des lits aux Jeux olympiques, on n’en a plus entendu parler », affirme Stéphanie Guéritaud, styliste et autrice du blogue Déconome.

Des sportifs se sont ainsi lancés à la défense de ces bases de lit en carton, il y a deux semaines, se filmant en train de sauter dessus pour démontrer leur robustesse.

Car des meubles en carton, c’est tout à fait solide, assure MarieJosé Gustave, artiste-sculpteure qui affectionne cette matière pour ses créations et ses pièces sur mesure — des luminaires en carton autant que des commodes capables de soutenir des livres ou une télévision. «J’ai une chaise exposée dans la collection permanente du MUMAQ [Musée des métiers d’art du Québec] complètement en carton, et elle peut asseoir quelqu’un qui pèse de 80 à 100 kg. Et ce n’est pas une très grosse chaise», précise-t-elle.

Le fabricant de meubles en carton français Orika! a même publié des vidéos où l’on se sert de piliers en carton capables de soutenir le poids d’une voiture, notamment.

Un autre avantage indéniable du carton, ajoute Marie-José Gustave, c’est qu’il est ultraléger, donc facile à déménager. «J’ai transporté une commode de 5 pi sur 3 pi de haut toute seule avec juste un bras», illustre-t-elle.

Lorsque l’assemblage est solide, esthétique et protégé, il dure très longtemps, souligne de son côté

Stéphanie Lévesque, ébéniste de métier, entrepreneure générale et chroniqueuse, qui utilise encore une table de chevet en carton fabriquée en 2008. «On ne pouvait pas deviner d’emblée que c’était du carton; j’utilisais beaucoup mes techniques apprises en ébénisterie. [...] C’est quand les gens la soulevaient qu’ils s’en rendaient compte.

« Le carton offre une flexibilité incroyable qui permet la réalisation de meubles et d’objets ludiques avec des courbes qui seraient difficiles à reproduire en bois, par exemple, en aussi peu de temps » , ajoute Mme Lévesque.

DES QUALITÉS SÉDUISANTES…

QUI SUSCITENT PEU D’ENGOUEMENT

Solide, léger, durable, flexible... Le carton ne manque assurément pas de qualités. Mais comment expliquer, dans ce cas, que le succès n’ait pas été au rendez-vous au Québec, où l’offre est quasi inexistante? La société papetière Cascades, qui a déjà conçu des fauteuils en carton pour des évènements spéciaux comme une conférence de David Suzuki, entre autres, affirme n’avoir aucune intention de développer ce créneau pour la vente au grand public.

Et si l’on trouve quelques fabricants de meubles sur Internet, ils sont majoritairement situés outre- mer ou aux États- Unis et n’expédient généralement pas au Canada, alors que des sites comme Etsy proposent quelques articles moyennant des frais d’expédition parfois astronomiques.

Quant à fabriquer soi-même des meubles en carton en s’inspirant de vidéos trouvées sur Internet ou de livres comme ceux du Français Éric Guiomar (à qui l’on doit une technique de création de mobilier en carton exposée dans la série de trois volumes Créer son mobilier

en carton), le défi est de trouver la bonne matière première, estime Marie-José Gustave, puisqu’il faut du carton plat, qui ne soit pas plié et qui soit d’assez grande dimension.

« À part IKEA qui intègre un peu de carton dans ses meubles, comme dans les étagères Kallax, on ne trouve rien ici», souligne Stéphanie Guéritaud, qui précise qu’en France, le mobilier en carton est plus populaire. La styliste possède d’ailleurs depuis de nombreuses années un petit tabouret en carton de la marque française Stooly, «très pratique», dit-elle, puisqu’il se plie facilement et se dissimule dans un coin du salon lorsqu’on ne s’en sert pas. Cette même entreprise fabrique également des lits qui se transforment en banquettes ou en méridiennes et qui, une fois repliés, passent d’une longueur de 2 m à une épaisseur de 9 cm.

DES ARGUMENTS

QUI NE TIENNENT PAS

«C’est une question de perception parce que j’ai fait quelques stories sur Instagram en disant que je ne comprenais pas, moi non plus, pourquoi le carton n’avait pas plus percé, et j’ai eu deux ou trois réponses disant que c’est parce que ça pue, le carton, parce que c’est vraiment trop laid, et au prix que ça coûte, on préfère acheter du vrai bois, dit Stéphanie Guéritaud. Et c’est ça, le problème, parce que les meubles en carton restent super chers, et les gens ont ce préjugé que ça peut s’abîmer plus que du bois. Mais pour l’humidité, il faudrait vraiment submerger le carton dans l’eau pour qu’il ramollisse», dit-elle.

Selon elle, l’engouement devra peut-être être créé par de grandes entreprises « qui ont un pouvoir de l’imposer » . « Des entreprises comme IKEA », avance Stéphanie Guéritaud, tout en rappelant que le fabricant avait entrepris une véritable révolution en 2012 lorsqu’il avait remplacé ses palettes en bois par leur équivalent en carton.

La styliste croit que le carton pourrait même remplacer le plastique à l’avenir, dans les accessoires de rangement pour garde-manger, par exemple, ou servir à fabriquer des paravents et des séparations murales qui se replieraient facilement pour être rangés. « Les appartements deviennent de plus en plus petits de nos jours et on a besoin de trouver des façons de se créer des espaces séparés. Si le carton est de couleur blanche, on est capable de faire des designs qui soient très neutres et qui n’ont pas du tout le look du carton » , assure-t-elle.

Le carton offre une flexibilité incroyable qui permet la réalisation de meubles et d’objets ludiques avec des courbes qui seraient difficiles à reproduire en bois, par exemple, en aussi peu de temps »

— Stéphanie Lévesque, ébéniste de métier, entrepreneure générale et chroniqueuse

LE MAG

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2021-07-31T07:00:00.0000000Z

2021-07-31T07:00:00.0000000Z

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