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JEAN-FRANÇOIS ROBERGE : DE PROF IDÉALISTE À MINISTRE RÉALISTE

MYLÈNE MOISAN CHRONIQUE mmoisan@lesoleil.com

Jean-François Roberge a publié un livre en 2016, Et si on réinventait l’école?, qu’il présentait comme des «chroniques d’un prof idéaliste». Le prof idéaliste, c’était lui, et il était très critique du réseau scolaire.

Et des ministres de l’Éducation. Alors lorsqu’il l’est devenu en 2018, je lui ai remis sous le nez quelques constats qu’il avait posés, des critiques qu’il avait formulées et surtout, des solutions qu’il jugeait évidentes et… urgentes. À l’endos du bouquin, le prof appelait à «faire de l’éducation notre priorité nationale».

C’était en somme un mode d’emploi pour le prochain ministre de l’Éducation, il ne savait pas encore que ce serait lui.

Toujours à l’endos du livre, Jean-François Roberge écrivait ceci. «Il faut carrément réinventer l’école parce que, de toute évidence, ça ne va plus. Écoles délabrées, taux de décrochage alarmant, analphabétisme grimpant : les Québécois ne peuvent plus rester les bras croisés. Investir davantage ne suffit pas. Il faut changer notre façon de faire. Pour ce, tous les groupes impliqués dans le réseau scolaire doivent accepter de renoncer à leurs intérêts corporatistes et n’avoir désormais qu’un seul but en tête : donner priorité à l’élève.»

Dans ma chronique du 24 octobre 2018, une semaine après qu’il eut prêté serment comme ministre, je citais quelques passages de l’ouvrage :

Page 23, «le nivellement par le bas a créé une véritable chaîne de médiocrité dans tout notre système scolaire», page 62, «un système sans-coeur» où «le bien de l’établissement ou celui de l’enseignant passent parfois bien avant celui de l’élève, un être anonyme trop souvent laissé pour compte dans le dédale de règles et de normes».

Page 98. «Les ministres de l’Éducation regardent ailleurs. Il est trop facile de blâmer les enseignants lorsque les taux de décrochage sont élevés. Quand les services professionnels ne sont pas au rendez-vous, les enseignants se découragent. Certains d’entre eux ne veulent même plus remplir les formulaires destinés à rapporter les cas d’élèves en difficulté, sachant qu’ils ont mieux à faire et que le soutien ne viendra pas.»

J’écrivais qu’il tenait à un ordre professionnel, une idée qui ne fait pas l’unanimité. «Si l’école est importante, si l’éducation de qualité nous tient à coeur, si nous voulons viser haut et loin, nous devons revaloriser la profession et créer sans tarder un ordre professionnel des enseignants!»

Il plaidait pour que l’on contingente la profession d’enseignant, comme on le fait pour les médecins.

«LA TÂCHE EST ENCORE ÉNORME»

Quatre ans plus tard, son attaché de presse m’a proposé de faire une entrevue avec le ministre, qui aurait relu à l’occasion pendant son mandat ma chronique, intitulée «Le gros contrat d’un prof idéaliste». Au bout du fil, l’ex-prof me dit qu’il l’a «gardée un peu comme une entente», comme une commande à livrer.

Et puis, a-t-il sous-estimé le contrat? «Non, j’étais conscient de la tâche, mais je ne m’attendais pas évidemment à la tempête de la pandémie.» Après quatre ans d’un «mandat complètement atypique», il reconnaît que «la tâche est encore énorme. […] Ce n’est pas parfait, mais je n’ai pas perdu les élèves de vue».

Il admet avoir sous-estimé une chose : la pénurie de personnel. «La pénurie a frappé. Beaucoup plus fort que ce qu’on avait envisagé. On n’est pas dans un contexte où on peut être plus sélectifs.» Alors, au lieu de sélectionner les futurs enseignants comme les médecins, c’est le contraire qui s’est produit. Il y a présentement au Québec quelque 4000 personnes qui enseignent sans avoir la formation. Dans certaines écoles, des parents ont même été appelés en renfort.

«Il a fallu créer des passerelles» en attendant que les futurs professeurs sortent des universités. Mais d’ici là, «c’est certain que ça met une grosse pression sur le personnel, d’avoir des personnes qui n’ont pas la formation complète et ce n’est pas évident pour certains élèves.»

Un de mes gars a fini sa cinquième année avec un prof d’éducation physique, en enseignement à distance.

C’est le seul qu’on a trouvé. Le ministre a aussi abandonné l’idée de créer un ordre professionnel. «On n’est pas allé de l’avant avec cette mesure, ça devait venir de la base, pas d’en haut. Ça ne peut pas être “on vous l’impose”. On a quand même établi des actes réservés, comme les notes. On a reconnu des expertises, les gestes ont été posés dans ce sens-là.» Est-il déçu d’avoir largué cette idée à laquelle il tenait tellement? «On s’est plus attachés aux résultats qu’aux moyens, on est passés par la reconnaissance, par la formation continue.»

Le prof idéaliste est devenu un ministre réaliste.

Il doit aussi se rendre à l’évidence, les services aux élèves en difficultés sont toujours insuffisants dans les écoles. «On a mis les budgets, mais on n’a pas réussi à embaucher des professionnels. On ne peut pas les inventer! Ce n’est pas parce qu’on ne veut pas, mais des fois, des postes sont vacants et ça ne donne évidemment pas d’aide.»

Il le voit bien, «c’est vrai qu’il y a plusieurs professeurs qui sont au bout du rouleau. […] Et il y a une fatigue pandémique qui s’ajoute à ça.»

Du contrat que je lui ai passé de façon unilatérale en 2018, il se félicite d’avoir augmenté «le salaire à l’entrée à 53 000 $», 3000 $ de plus que ce qu’il avait donné comme objectif. «On s’est aussi attaqué au nivellement par le bas. On a mis fin au gonflage de notes, je pense qu’il faut le souligner.»

Jean-François Roberge souligne également le travail fait pour s’assurer que les élèves reçoivent des services en fonction de leurs besoins et non pas en fonction d’un diagnostic. Jusqu’ici, l’attribution des services se faisait avec un système de cotes qui déterminaient le niveau de services. Ainsi, deux enfants qui avaient les mêmes besoins, mais pas la même cote n’avaient pas les mêmes services. «À partir de l’automne, assure le ministre, le financement ne sera plus établi par des cotes, mais en fonction des élèves.»

C’est une bonne chose.

Quelle opinion aurait le prof idéaliste du ministre qu’il est devenu? «Je n’ai pas regardé ailleurs. Avant la pandémie, je visitais souvent des écoles, j’arrivais avec ma boîte à lunch et je m’assoyais avec les gens pour pouvoir prendre le pouls, pour aller au-delà du discours. Ça m’a beaucoup servi, ça m’a permis de voir où étaient les vrais besoins, de savoir ce que les gens appréciaient plus, ou moins.»

Il reste quelques journées pédagogiques cette semaine dans la plupart des écoles… une belle occasion d’aller luncher quelque part?

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