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L’INFLATION NUIRA-T-ELLE À L’ACHAT LOCAL?

MATTHIEU MAX-GESSLER m.maxgessler@lenouvelliste.qc.ca

Pendant la pandémie, nombreux sont les Québécois et Québécoises à avoir fait le choix d’encourager des producteurs et artisans locaux. Mais avec la hausse importante du coût de la vie, ces bonnes habitudes risquent-elles de disparaître, ou les convictions aurontelles le dessus sur le portefeuille?

Pour les producteurs locaux, impossible d’échapper aux conséquences de l’inflation. Celles-ci sont toutefois à géométrie variable, selon le type de culture ou d’élevage. Ainsi, alors que de nombreux producteurs déplorent la hausse dramatique du coût des engrais, aux Jardins Bio Campanipol, à Sainte-Geneviève-de-Batiscan, elle a moins d’impact.

«On est moins touchés parce qu’on en utilise moins. C’est pas mal le seul avantage qu’on a, parce que ça se contrebalance ailleurs. Les fermes conventionnelles utilisent plus d’engrais, mais elles ont moins de travail au champ, pour enlever les mauvaises herbes. Et on connaît la difficulté à retenir la main-d’oeuvre», commente Florence Lefebvre St-Arnaud, copropriétaire.

L’entreprise est également affectée par la hausse du prix du carburant, qui représente une portion importante de ses dépenses. En ce qui concerne les clients, Mme Lefebvre St-Arnaud reconnaît que les inscriptions pour la livraison de paniers de fruits et légumes de saison ont été plus tardives que lors des années précédentes.

«Est-ce que c’est à cause de la multiplicité de fermes qui offrent cette option sur le territoire ou à cause de la réalité économique? Je ne sais pas», nuance-t-elle.

En date du 20 juin, l’entreprise indiquait cependant sur son site Web que la période d’inscription pour ses paniers bio était terminée.

Même si ses coûts de production sont à la hausse, Mme Lefebvre StArnaud indique que les prix de vente n’augmenteront pas.

«C’est certain que comme ça, on absorbe la majorité de la hausse nous-même. Ça va jouer sur notre capacité d’investissement à court et à moyen terme, mais on ne veut pas refléter la hausse complète sur les consommateurs», explique-t-elle.

Malgré les difficultés connues depuis le début de l’année, la copropriétaire des Jardins Bio Campanipol tente de demeurer optimiste.

«C’est sûr que pour nos paniers bio, on vise une clientèle qui est au départ plus sensibilisée à l’achat local. Mais avec le prix de l’essence, ça peut être un incitatif pour les gens qui habitent à proximité de notre boutique de s’y rendre, plutôt que de faire plus de route pour se rendre à l’épicerie», espère-t-elle.

LA MOULÉE À UN PRIX «ASTRONOMIQUE»

La ferme Le Rieur Sanglier, à Yamachiche, subit elle aussi les effets de l’inflation.

«Il y a un impact au niveau de l’essence, aussi avec le prix des produits de plastique, comme nos sacs pour le sous vide. Mais c’est surtout le coût de la moulée qui est rendu astronomique», signale le propriétaire Nicolas Gauthier.

Tout comme les Jardins Bio Campanipol, l’éleveur de sanglier a décidé lui aussi de maintenir ses prix malgré la hausse des coûts de production.

«C’est sûr que ma marge de profit a fondu, je dois tout recalculer. Mais j’ai une approche particulière, au lieu de monter les prix et ainsi diminuer mes ventes, je préfère faire le maximum de ventes pour diminuer mon troupeau. Ça diminue la consommation de grain», explique-t-il.

La hausse du prix de la viande, notamment le boeuf, lui donne par ailleurs un avantage intéressant, estime-t-il, alors que la viande de sanglier devient une alternative intéressante. Il considère d’ailleurs que jusqu’à présent, sa clientèle conserve le réflexe de l’achat local et continue à l’encourager. La reprise des restaurants lui donne également un sérieux coup de pouce.

«Les restaurants n’ont pas tous repris dans la même envergure, certains coupent un peu sur leurs prix d’approvisionnement, en choisissant des coupes moins nobles, mais j’ai la chance d’avoir des clients qui continuent à acheter un volume intéressant. Donc je demeure en augmentation par rapport à 2019-2020», mentionne M. Gauthier.

Celui-ci indique d’ailleurs avoir beaucoup misé sur la promotion de son entreprise sur le Web et les réseaux sociaux. Il se dit bien épaulé par ses enfants, dont l’aîné vient d’ailleurs de terminer son cours de boucherie, et sa conjointe, l’ancienne députée néo-démocrate Ruth Ellen Brosseau.

«Oui, on a des petits tracas supplémentaires, mais rien qui va nous empêcher d’avancer», conclut-il.

DEUX TYPES DE CLIENTÈLE

De son côté, Frédéric Roy, cofondateur du site Panierlocal.ca, dit avoir confiance que l’achat local gardera son attractivité malgré l’inflation.

«On a deux types de clientèle. Une qui fonctionne de manière très serrée, avec un budget, et qui va magasiner selon les prix. L’autre choisit les aliments selon leur fraîcheur, leur qualité et leur impact environnemental. Cette deuxième clientèle fait des choix selon ses valeurs, puisqu’elle a déjà été sensibilisée», soutient-il.

M. Roy croit par ailleurs que les produits locaux, du moins pour ce qui est des fruits et légumes, vont demeurer accessibles, puisqu’ils ne passent pas par de grandes chaînes d’approvisionnement et engendrent donc moins de frais de transport.

«Du côté des légumes et des fruits, ça revient moins cher d’acheter localement, puisque les produits arrivent sous forme d’arrivage. Si on est dans la saison des

asperges, ça va être moins cher d’en acheter. Si on en achète en octobre, ça va être plus cher. Donc si on achète en fonction de la saison, les fruits et légumes locaux peuvent être très compétitifs», souligne-t-il.

L’expert en communication reconnaît que les produits transformés localement vont toutefois souvent coûter plus cher que ceux importés d’une autre province ou d’un autre pays. Le consommateur y gagne toutefois au change avec leur qualité, estime-t-il.

Lancé au début de la pandémie, le site Panierlocal.ca a pour mission de donner accès facilement au fruit du travail des producteurs et transformateurs des MRC de Bécancour et de Nicolet-Yamaska. Le modèle, qui a marché très fort pendant les épisodes de confinement, est toutefois en transformation, avec la fin des mesures sanitaires. On y vendra désormais des paniers permettant de découvrir des producteurs locaux.

«Pendant la pandémie, ç’a été une solution très appréciée, mais là, les gens reviennent à leurs habitudes, ils retournent dans les kiosques et les marchés. On s’adapte à la réalité de la clientèle», explique M. Roy.

Panierlocal.ca travaille également sur une formule qui permettrait aux ménages dont le budget est plus serré d’avoir accès à des produits locaux à un tarif réduit.

«On pense faire des paniers avec les surplus des producteurs, ou des fruits et des légumes moins beaux, mais bons quand même, qui ne se vendraient pas en épicerie. Le but n’est pas de trouver une solution pour les gens dans l’urgence alimentaire, mais une couche au-dessus, ceux qui trouvent que l’inflation rend plus difficile de faire l’épicerie», résume M. Roy.

Celui-ci ajoute que la formule en question n’est pas encore fixée, on veut d’abord s’assurer que l’initiative réponde réellement aux besoins de la clientèle visée. Le projet devrait se mettre en branle à l’automne.

ET DANS LES ÉCOLES?

De son côté, Frédéric Therrien, directeur de l’organisation 100°, qui a pour mission de favoriser les initiatives visant l’adoption de saines habitudes de vie par les jeunes Québécois, refuse de croire que l’inflation nuira sérieusement à l’achat local.

«Je pense que le désir d’acheter et de manger local, de favoriser les restaurants locaux, demeure super fort, puisque c’est un sentiment d’appartenance, surtout dans les petites communautés. Après, la réalité du prix et la distance... on peut garder de bonnes habitudes, mais parfois, ça peut être un défi», avance-t-il.

100° soutient d’ailleurs divers projets dans les écoles de la province pour favoriser la prise de conscience de l’importance de l’achat local, dans le cadre d’un partenariat avec le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

«On vise que 100 % des établissements du Québec se dotent d’une cible d’achat local, soit qu’il y ait un nombre minimum de plats préparés par les cafétérias avec des aliments du Québec», résume M. Therrien.

Selon lui, de nombreux parents d’élèves font déjà le choix d’acheter local. Mais s’ils ont le contrôle de la boîte à lunch de leur progéniture, ils ne l’ont pas sur le menu de la cafétéria. 100° invite donc les écoles à influencer les choix du traiteur ou du concessionnaire responsable de l’alimentation dans leur établissement.

Selon lui, le fait d’exposer les jeunes aux aspects positifs de l’achat local favorise l’ancrage de bons réflexes de consommation une fois qu’ils seront adultes.

«Ça permet aussi aux jeunes d’être exposés à des produits, de rencontrer des producteurs et des maraîchers. Ça peut leur montrer les métiers liés à ce monde et leur donner le goût de les pratiquer», avance M. Therrien.

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2022-06-25T07:00:00.0000000Z

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