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L’INCONSTANCE DES GRAMMAIRES AU FIL DES SIÈCLES

CHARLES FONTAINE, LE DROIT

Après s’être fait bombarder de règles grammaticales à l’école primaire et secondaire, il est normal que plusieurs nous échappent lors de nos conversations quotidiennes. C’est encore plus compréhensible quand on se rend compte que les différentes grammaires ne partagent pas toutes les mêmes normes prescriptives.

«Si j’aurais», un énoncé qui écorche les oreilles de plusieurs, même s’il est très répandu dans la langue communautaire. Les grammaires des derniers siècles imposent l’emploi de l’imparfait après la conjonction si. Pourtant, au 17e siècle, certaines grammaires l’acceptaient. Ce n’est pas le seul cas de changement entre les recueils au fil des ans, et même, dans une génération similaire.

C’est ce qu’a découvert l’équipe de linguistes du Laboratoire de sociolinguistique à l’Université d’Ottawa. La directrice Shana Poplack et ses collaborateurs ont examiné 163 grammaires faisant partie du Recueil historique des grammaires du français, publié entre 1530 et 1998.

«On a identifié beaucoup de traits du français utilisés dans la langue parlée et on essaie de retracer leur traitement dans les grammaires à partir de 1530 jusqu’à aujourd’hui», explique Mme Poplack qui a enregistré des conversations de 323 personnes pour généraliser la langue communautaire.

DÉSACCORD QUI SURPREND

En analysant toutes ces normes de la langue française, les chercheurs se sont rendu compte que certaines règles étaient différentes d’une grammaire à l’autre, à leur grande surprise.

«Ça nous a étonnés! Parce que tout le monde pense, y compris les grammairiens, que tout le monde va partager les règles de grammaire. C’est complètement volatile, ça change d’un moment à l’autre et d’une grammaire à l’autre. On ne sait même pas si tout le monde apprend les mêmes règles. Ça dépend de la grammaire que vous utilisez», avoue Shana Poplack.

Ces différences sont de plus en plus nombreuses dans les grammaires publiées depuis 1950. «Ça montre que ce qui est le plus important pour les instances normatives est de départager ce qui est bien et mauvais sans même être d’accord sur ce qui est bien», lance-t-elle.

Un autre exemple de règle qui change au fil des recueils est l’emploi de l’auxiliaire être avec certains verbes aux temps composés. Parmi tous ces verbes, peu sont utilisés dans les conversations. De plus, les grammaires ne s’accordent pas toutes sur l’auxiliaire à employer. La phrase «J’ai resté» — très répandue dans la langue communautaire — serait alors acceptée selon certains grammairiens.

Mais revenons sur le cas du si. Les chercheurs se sont rendu compte qu’après que les grammaires aient interdit le temps conditionnel après la conjonction si, l’utilisation de ce temps de verbe en pareille situation est montée en flèche dans les conversations du peuple. Au 19e siècle, le temps conditionnel était employé dans 13 % des cas, alors qu’au 21e siècle, son utilisation a grimpé à 78 %. «C’est probablement le trait de la langue française qui est le plus corrigé et le plus stigmatisé. Malgré tout, les gens l’utilisent de plus en plus. C’est un renseignement qui devrait informer nos efforts vis-à-vis de l’enseignement de la langue», soutient Mme Poplack.

MEILLEURE ACCEPTATION

DE LA LANGUE PARLÉE

La professeure ne veut pas indiquer ce que les écoles devraient enseigner. Mais elle recommande un «oeil critique et averti». «Il faut que les gens comprennent que la langue normative n’est pas coulée dans le béton. C’est autant variable que la langue parlée.»

Cette panoplie de normes de la langue française se perpétue grâce au conservatisme des grammairiens. Chacun veut avoir raison et rejette les autres propositions.

Sans réformer la manière dont on enseigne le français écrit aux étudiants, la langue communautaire devrait être mieux reconnue, conclut Shana Poplack.

Elle prépare d’ailleurs un ouvrage qui reconnaît les usages très répandus à l’oral depuis plus d’un siècle. Même si elle évolue, la langue communautaire ne va jamais respecter toutes les règles normatives.

«Il faut reconnaître que la norme communautaire ne va pas changer. Ce n’est pas en disant qu’on ne peut pas utiliser le conditionnel [après la conjonction si] que ça va arrêter. Il y a des évidences que ces efforts normatifs n’ont pas fonctionné. Il faut un dialogue entre pédagogues, enseignants et linguistes, parce que pour savoir comment enseigner la langue, il faut savoir comment elle est utilisée.»

LE POINT

fr-ca

2022-06-25T07:00:00.0000000Z

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https://lesoleil.pressreader.com/article/281930251662779

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