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LE REVERS DE NOTRE VIRAGE VERT

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Pascal Gélinas, Documentariste et membre du Regroupement Des Universitaires

Patrick Provost, Professeur à l’Université Laval et Coordonnateur du Regroupement Des Universitaires

Nous, Américains du Nord, de concert avec les Européens, les Japonais, les Australiens et les Néo-Zélandais, émettons près de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), alors que nous comptons pour moins du quart de la population mondiale. Sans oublier que, dans chacun de nos pays, les 10 % les plus riches génèrent entre 34 % et 45 % des émissions totales.

Malgré ces disparités flagrantes, nous croyons généralement qu’il sera possible d’atteindre nos objectifs climatiques en se dotant d’un nombre suffisant de voitures électriques, de panneaux photovoltaïques, ou d’éoliennes.

GLOUTONNERIE MINÉRALE

Plutôt que de remettre en cause notre surconsommation et de tendre résolument vers la sobriété matérielle et énergétique, nous préférons remplacer notre dépendance aux énergies fossiles par une dépendance aux minerais. Car, pour construire des éoliennes, il faut de l’aluminium, du chrome, du cuivre, du fer, du plomb, du zinc, du manganèse, du nickel, du molybdène et du néodyme. Pour construire des véhicules électriques, il faut quatre à six fois plus d’intrants minéraux que pour les véhicules à essence. Et pour électrifier les transports, il faudra des milliards de batteries fabriquées avec au moins onze minerais, dont du cobalt, du lithium, du cuivre et du nickel.

Un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), paru au printemps 2021, illustre crûment le problème : «Un effort concerté pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris signifierait un quadruplement des besoins en minéraux pour les technologies énergétiques propres d’ici 2040... Une transition encore plus rapide, visant à atteindre le «zéro émission nette» à l’échelle mondiale d’ici 2050, nécessiterait six fois plus d’intrants minéraux en 2040 qu’aujourd’hui.»

Les auteurs d’une étude de l’Université catholique de Louvain estiment que d’ici 2050, la demande européenne en lithium devrait augmenter de 3535 %, celle du cobalt de 331 % et celle du nickel de 103 %. De son côté, la Commission européenne prévoit qu’en 2050, seulement pour les batteries et le stockage de l’énergie, l’Union européenne aura besoin de près de 60 fois plus de lithium et 15 fois plus de cobalt.

DÉLOCALISER LA POLLUTION

Il faut se rendre à l’évidence : nous décarbonons nos activités grâce à des métaux rares extraits à l’autre bout de la planète, sans voir les drames humains, les terres devenues infertiles, les cours d’eau souillés et les nappes phréatiques contaminées qui y sont associés. En septembre 2020, quatre chercheurs publiaient dans Nature un article documentant les menaces que l’essor des énergies renouvelables fait peser sur la biodiversité. On y apprend que l’exploitation minière a potentiellement des impacts sur près de 50 millions de km² de la surface terrestre. Or, 82 % de ces zones minières alimentent la production d’énergie renouvelable. À terme, craignent ces chercheurs, «les menaces minières pour la biodiversité pourraient dépasser celles évitées par l’atténuation du changement climatique».

Cette extraction croissante engendre aussi des atteintes aux droits humains, alerte l’ONG Sherpa, dans un rapport paru en octobre 2020. En Amérique du Sud, on extrait le lithium des salar, ces déserts de sel où l’eau fait cruellement défaut. Or, le rapport indique que l’activité minière menace de plein fouet la disponibilité et la qualité de l’eau potable. «À titre d’exemple, en Argentine, dans le Salar del hombre muerto, des communautés locales accusent l’exploitation du lithium d’avoir contaminé des ruisseaux qu’elles utilisent pour elles-mêmes, mais également pour abreuver leur bétail et pour irriguer des cultures».

En République démocratique du Congo, on soumet au travail forcé 40 000 enfants-mineurs, on détraque des écosystèmes et on pollue des fleuves pour extraire du coltan et la moitié du cobalt de la planète. Résultat : la concentration de cobalt dans l’urine des populations riveraines est 43 fois supérieure à la nôtre.

L’AUTRE ROUTE DE LA SOIE

On croit généralement que le virage numérique est plus respectueux de l’environnement, plus écoresponsable. Or, pour fabriquer un nouvel ordinateur portable, les travailleurs chinois ont dû émettre environ 330 kilogrammes d’équivalent CO2, utiliser énormément d’eau et de matières premières, notamment des métaux comme le palladium, le cobalt et des terres rares. Et pour ce rutilant téléphone cellulaire pesant 150 grammes, que l’on change en moyenne tous les deux ans, il a fallu extraire du sous-sol pas moins de 183 kilogrammes de matières premières. Cet objet culte, qu’on ne parvient pas à recycler de façon soutenable, est un savant composé de 45 métaux, dont presque tous sont qualifiés de «métaux rares»; rares, parce qu’ils existent en proportion infinitésimale dans la croûte terrestre et que la recette pour les extraire est herculéenne. Il faut d’abord broyer le minerai, utiliser à des dizaines de reprises des réactifs chimiques, tels des acides sulfuriques et nitriques, et, à chaque fois, rincer à grande eau.

Dans la ville de Baotou, dans le nord de la Chine, le rapport de l’ONG Sherpa décrit la pollution causée par un lac de boue et de déchets toxiques de plus de 120 km² : «En conséquence, les eaux souterraines de la région sont devenues radioactives, l’air contient de fortes concentrations de substances toxiques, la faune et la flore ainsi que les communautés environnantes ont été contaminées. L’eau toxique du lac se mélange également avec l’eau de l’un des principaux cours d’eau de Chine, le fleuve Jaune». Avec une électricité produite aux deux tiers par des centrales au charbon et au pétrole, la Chine, qui émet plus du quart des émissions mondiales de GES, est devenue le plus important producteur de métaux rares et de terres rares de la planète. En sacrifiant son territoire, l’Empire du Milieu s’est doté d’un formidable atout stratégique dans notre monde dopé par le numérique, ce qui laisse présager d’éventuelles tensions géopolitiques.

DISSONANCE ÉCOCIDE

Le développement des énergies renouvelables ne pourra jamais absorber la croissance continue de notre consommation matérielle et, encore moins, celle de notre colossale consommation énergétique. D’après le GIEC, il nous reste un peu plus de mille jours pour plafonner les émissions mondiales de GES.

Or, pendant que le climat déraille, que les forêts s’enflamment, que les rivières débordent et que la biodiversité s’effondre, les industriels, eux, sont affairés à un projet bien plus important: installer des antennes partout, lézarder le ciel de dizaines de milliers de satellites (dont la durée de vie n’est que de cinq ans), insérer des puces communicantes dans tous nos objets et, avec le concours de nos plus sympathiques vedettes, nous vendre une nouvelle gamme de produits compatibles avec la 5G et l’Internet des objets.

Or, pour fabriquer chacune de ces puces de deux grammes, il faut 32 kilogrammes de matières premières. On nous annonce, pour 2025, quelque 75,44 milliards d’objets connectés. Faisons le calcul : rien que pour permettre à nos objets d’échanger leurs données, il faudra extraire 2382 milliards de tonnes de matières premières.

Mais de quelle transition parlonsnous au juste?

PLACE PUBLIQUE

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2022-06-25T07:00:00.0000000Z

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