Cette chaise est-elle vraiment votre ennemie?

Il y a parmi nous des athlètes de la concentration qui peuvent rester assis durant des heures à focaliser sur une tâche intellectuelle, sans réclamer la moindre pause. Les Allemands ont un mot pour désigner cette habileté : Sitzfleisch. Le terme se traduit en français par «chair assise» ou, plus prosaïquement, par «viande de fesses».

C’est un compliment qui réfère à la persévérance, à l’endurance. Programmer une application, résoudre un problème mathématique ou écrire un scénario exigent de la Sitzfleisch.

Bref, vous l’avez compris, la Sitzfleish est bonne pour votre productivité. Mais l’est-elle pour votre santé?

Vous avez peut-être déjà entendu dire que notre propension à être assis durant des heures devant un ordinateur est un fléau moderne, aussi dangereux que le tabagisme. «Sitting is the new smoking», disent les Anglos.

Jusque-là, j’avais volontairement omis de m’informer sur cette prétendue calamité, me disant que c’était sans doute exagéré. Mais j’ai interrompu mon déni, cette semaine, pour vérifier si la chaise était vraiment mon ennemi.

J’ai donc lu un chapitre consacré à la question dans l’éclairant livre Exercised : Why Something We Never Evolved to Do Is Healthy and Rewarding («Exercé : pourquoi une chose pour laquelle nous n’avons jamais évolué est saine et gratifiante») (2021), de Daniel E. Lieberman.

Lieberman est un est paléoanthropologue à l’Université Harvard, où il pilote le Département de biologie évolutive humaine. Il est mondialement connu pour ses recherches sur l’évolution du corps humain.

Selon Lieberman, il est faux de croire que les humains modernes sont de pathétiques patates de sofa et que nos lointains ancêtres posaient à peine leurs popotins.

En fait, des chercheurs qui ont étudié les rares groupes de chasseurs-cueilleurs qui subsistent dans le monde ont constaté qu’ils s’assoient environ 10 heures par jour, soit autant que la plupart d’entre nous.

Comme il est plus fatigant de rester debout, s’asseoir est un moyen immémorial de conserver de l’énergie.

Mais les chasseurscueilleurs ne s’assoient pas comme nous. Ils s’accroupissent, s’agenouillent sur une ou deux jambes, ou posent les fesses par terre avec les jambes étirées, croisées ou sur le côté. La dépendance à la chaise est relativement récente dans l’histoire humaine. Et avec elle est venu le problème du Sitzfleisch.

Oui, les humains ont évolué pour s’asseoir, explique Lieberman dans son livre. Mais ils n’ont

Il est faux de croire que les humains modernes sont de pathétiques patates de sofa

pas évolué pour rester assis sans bouger pendant des heures. Et c’est ça qui est dommageable.

Quand on reste assis trop longtemps, on empêche nos muscles d’utiliser le gras et le sucre dans notre sang pour réduire l’inflammation dans notre corps, explique Liberman.

En parallèle, cette inactivité physique bloque la dépense des calories ingérées à l’heure des repas. On prend du poids et on finit par accumuler la fameuse graisse abdominale dont on nous met en garde. À un certain point, les cellules adipeuses dans notre bedaine enflent et sécrètent une série de protéines qui participent elles aussi à l’inflammation chronique.

Or, l’inflammation chronique est une sorte de tueur silencieux.

Elle est reconnue pour contribuer aux maladies cardiovasculaires, au cancer, au diabète de type 2, à l’arthrite, à l’Alzheimer et à d’autres problèmes de santé.

Pour contrecarrer les effets néfastes de la chaise, inutile de diaboliser un instinct aussi normal que celui de s’asseoir, remarque Daniel Lieberman. Il faut juste apprendre à entrecouper les moments assis de courtes périodes où on dégourdit nos muscles.

Daniel Lieberman conseille de régler une minuterie pour nous rappeler de nous lever et de nous déplacer de temps en temps. De parler au téléphone en marchant. D’essayer un bureau debout ajustable pour notre ordinateur. Autrement dit : Sitzfleisch, version améliorée.