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Les voisins BANLIEUE, DIAPOS ET... MAYONNAISE

FRANÇOIS R. POULIOT fpouliot@lesoleil.com

Se parler sans s’écouter, s’entendre sans se comprendre, se regarder sans se voir. La pièceculte du théâtre humoristique québécois Les voisins est de retour à Québec. Créés par Claude Meunier et Louis Saia en 1980, les mythiques et hilarants banlieusards souffrant d’incommunicabilité chronique planteront à nouveau leurs haies de cèdres et sortiront leurs diapos de voyage à la salle Albert-Rousseau à partir du 2 juillet.

Attablés à un restaurant de place d’Youville, Vincent Graton et Marie-Chantal Perron, les interprètes de Bernard et de son épouse Jeanine, échangent avec ferveur autour de cette production dont le 40e anniversaire de création devait être célébré en 2020. Une certaine pandémie aura cependant joué les trouble-fêtes…

Deux ans plus tard, au regard d’une actualité pas toujours joyeuse, la pièce mise en scène par André Robitaille relève plus que jamais du service essentiel. Les deux comédiens en sont convaincus.

«Avec la pandémie qui nous a forcés à nous isoler pendant si longtemps», Marie-Chantal Perron pense que le small talk des protagonistes — qui sont aussi vrais que vides — a tout pour plaire à un auditoire heureux de se déconfiner et de se revoir.

Pour avoir enfilé le costume du personnage avant que tout soit mis sur pause, l’actrice sait que la pièce fera autant de bien au public que les fameux sandwichs aux oeufs de sa Jeanine.

Souvenez-vous de sa célèbre phrase : «Ça goûte dont bon la mayonnaise, mais on peut pas dire à quoi ça goûte!»

Campée dans les années 80, avec tous les vêtements, la mode, les accessoires et le kitsch liés à cette époque, l’histoire passe toujours aussi bien la rampe quatre décennies plus tard, ajoute celui qui confie néanmoins avoir eu

«Ne pas s’entendre, ne pas se voir, vivre dans une communauté qui a du mal à se rejoindre… tout le monde est pris avec ça. Des couples qui se parlent sans réellement se parler, il y en a dans toutes les classes sociales » — Vincent Graton, l’interprète de Bernard

tout un choc en arborant pour la première fois la rousse tignasse de son Bernard.

UNIVERSALITÉ

«Ne pas s’entendre, ne pas se voir, vivre dans une communauté qui a du mal à se rejoindre… tout le monde est pris avec ça. Des couples qui se parlent sans réellement se parler, il y en a dans toutes les classes sociales», explique celui qui a remplacé Guy Jodoin, forcé de laisser sa place en raison de son horaire de travail.

Cette universalité se traduit également dans la façon des acteurs de donner vie à des protagonistes maintes fois interprétés depuis la création de la pièce. «Comment on s’approprie ces personnages? En évitant de les juger. En évitant de considérer que la Jeanine qui aime la mayonnaise est très loin de moi», dit Marie-Chantal Perron, qui a déjà collaboré avec Louis Saia pour la comédie télévisuelle Histoires de filles.

«À partir du moment où on juge un personnage...» lance Vincent Graton. «On cesse de le faire évoluer», complète sa chérie fictive.

Pour ce qui est de Bernard, «sa femme est là, sa fille est là, sa haie est là, son gazon est là, énumère son interprète. Il a ses références, il ne se pose pas de questions, il ne veut pas de trouble. Il est bien comme ça.»

Chacun possède ses repères, croit celui qui a joué le rôle éponyme de la pièce Appelez-moi Stéphane — également de Meunier et Saia — dans les années 90. On a tous, comme Bernard et Jeanine, ce besoin de contrôler ce qu’on peut contrôler, et ce réflexe d’éviter ce qui nous rend anxieux. «La seule chose que Bernard peut contrôler, c’est sa haie, laisse tomber celle qui campe sa femme. C’est sa Grande Muraille de Chine à lui.»

Brièvement évoquées dans la pièce par la fille de Jeanine et

Bernard, les craintes liées à la bombe atomique sont aussitôt évacuées par ce dernier. «Ben non, le champignon, ça existe pas! dit Vincent Graton, se glissant momentanément dans les souliers du personnage. On l’aurait entendu dans les journaux!»

Transposé au 21e siècle, le parallèle avec notre déni face à l’urgence climatique est éloquent, selon l’acteur. «Actuellement, on est tous un peu comme cela! regrette-t-il. Je viens d’un univers rempli d’espérance, où tout était possible. Là, est-ce que tout est possible?»

«Selon les scientifiques, non», rétorque sa partenaire de jeu.

LA BANLIEUE GAGNE DU TERRAIN

À l’heure où les esprits s’échauffent pour un troisième lien ou pour un tramway, pour une voie réservée ou pour une rue partagée, l’étalement urbain se poursuit et la banlieue gagne du terrain plus rapidement que tout réseau structurant.

«On a beau être contre l’étalement urbain et son impact sur l’environnement, tout part de l’accès à l’habitation», croit celui qui a longtemps milité «à coups de poing sur la table», citant en exemple «les prix de fou» des logements à l’autre bout de la 20.

Ayant troqué la ville pour la banlieue il y a quelques années, il jure qu’il n’y retournerait plus. Incapable de trouver un endroit à prix décent où se loger, il raconte que même sa fille a opté pour la RiveSud de Montréal.

Plus encore, le comédien dénonce fortement le manque de vision dans le développement des villes, qui contribue à la flambée des coûts en milieu urbain. «Les jeunes font comment, pour vivre? Et les ouvriers?»

À quelques mois des élections provinciales, certains membres de la communauté artistique ont annoncé qu’ils mettraient eux aussi un «poing sur la table»… et leur visage sur une pancarte. Par exemple, l’humoriste Mathieu Gratton portera les couleurs du Parti libéral du Québec et l’acteur Pierre-Luc Brillant celles du Parti québécois.

Serait-ce le temps pour l’alter ego de Bernard de faire le saut en politique active? «Me vois-tu suivre une ligne de parti?»

LE POUVOIR DU RIRE

Avouant tenir en haute estime les députés de la trempe de Véronique Hivon et Marwah Rizqy, il ne cache pas ses aspirations à provoquer le changement, mais autrement qu’en siégeant à titre d’élu.

«Je suis à un moment de ma vie où je veux vraiment utiliser l’art ou le théâtre, insiste-t-il. J’ai fait beaucoup de choses engagées, mais il ne faut pas sous-évaluer le rire.

«Ce qu’on va faire cet été, ajoute-t-il, c’est offrir une soupape pour que les citoyens puissent rire un bon coup et continuer d’avancer dans leur quotidien.» Qui plus est, le comédien est d’avis qu’un citoyen heureux est un citoyen disposé à s’impliquer socialement. Une pierre, deux coups.

«Juste le fait de mettre de la joie, c’est déjà une grande réussite, mentionne celle qui a fait le bonheur des plus jeunes, au début des années 2000, en interprétant la bienveillante Mademoiselle C. Cet été à Québec, notre job, c’est ça : semer de la joie.»

Les voisins sera présentée du

2 au 24 juillet à la salle Albert-Rousseau.

LE MAG

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2022-06-25T07:00:00.0000000Z

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