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ÉGLISES À VENDRE LA FRANCE SUIT L’EXEMPLE CANADIEN

KATIA CHAPOUTIER Collaboration spéciale

PARIS — Quand, dans les années 1970, le Canada a commencé à vendre certaines de ses églises pour des utilisations laïques, la France s’est montrée beaucoup plus conservatrice, certaine de ne jamais avoir à faire ce choix- là…. Du côté européen de l’Atlantique, les catholiques sont restés plutôt incrédules. Interloqués.

Mais les temps changent. Et 50 plus tard, la France doit constater que plus grand monde ne va à la messe. Et commencer à suivre l’exemple canadien.

Au Canada, tout a commencé quand les églises, remplies depuis toujours — en 1960, 80 % des catholiques allaient régulièrement à la messe — ont commencé à se vider.

Au début du millénaire, ils n’étaient plus que 25 %. Aujourd’hui, ils ne seraient que 5 %. Naturellement la désaffection des lieux de cultes a eu un impact concret sur leur utilisation et les revenus pour leur entretien. Alors peu à peu il a fallu se résoudre à trouver des solutions. Ainsi, à Montréal uniquement, déjà dans les années 1970, 18 églises ont été transformées pour diverses utilisations laïques. Une a été démolie et gardée en partie pour la construction de l’UQAM. Une autre a été convertie en appartements. Dans les années 1980, 25 églises ont changé de fonction. Elles sont devenues bibliothèques, bars, salles de spectacle et logements, de nouvelles vies évitant la destruction pure et simple d’un patrimoine non dénué d’un certain intérêt culture historique et d’un certain charme.

En France, pays bien plus conservateur quand il s’agit de vieilles pierres, on s’est longtemps offusqué de ces conversions. Comment pouvait-on transformer ces chefsd’oeuvre d’architecture sacrée en lieu de vie et de loisirs?

C’était sans imaginer que ce mouvement canadien était précurseur d’une vague qui finirait par toucher le vieux continent.

Aujourd’hui, au-delà des grands monuments architouristiques, par exemple Notre-Dame-deParis, les cathédrale de Chartres ou de Rheims et autre abbaye du Mont-Saint-Michel, le patrimoine religieux français est de plus en plus délabré. Les communes, à qui appartiennent les églises, ont de plus en plus de difficultés à les entretenir et ce n’est pas l’argent des quêtes — les messes sont de moins en moins courues — qui vont permettre de refaire les toits ou assurer toutes les détériorations du temps. Même les mariages sont de moins en moins célébrés à l’église: selon Statista, près de 90 000 en 2008 contre 45 000 en 2019. La moitié. Même phénomène du côté des baptêmes : 400 000 environ en 2000 contre 200 000 en 2019, avant qu’on commence à blâmer le virus. De plus, la crise des vocations ne permet plus d’avoir suffisamment de prêtres pour célébrer les messes.

Bref, pas de messes, pas de revenus, des églises fermées… et donc des bâtiments fragilisés.

En France l’Observatoire du Patrimoine religieux recense 90 000 biens d’église. Selon le Sénat français, entre 2500 et 5000 bâtiments sont menacés. Sans nouveau financement, il faudra envisager de vendre 10 % d’entre eux d’ici 2030.

LA SEULE POSSIBILITÉ

Les défenseurs de ce patrimoine s’étranglent à l’idée de voir ces bâtiments désacralisés, mais c’est pourtant la seule possibilité pour éviter la démolition, un mouvement de fond qui prend de l’ampleur depuis quelques mois. Et la pandémie n’a pas aidé, avec ses confinements et interdictions de réunions, qui n’ont fait qu’accélérer la désertion des lieux de culte.

En outre, le scandale des violences sexuelles commises par des prêtres va avoir un prix. Il est prévu que l’institution dédommage financièrement les victimes. Des victimes que l’on estime à plus de 300 000 en France. Même si on annonce plafonner ces dédommagements à 60 000 euros (80 000 $) par personne, cela va vite représenter des sommes considérables. Ce qui va obliger l’institution à se séparer d’une partie de son patrimoine immobilier. Ainsi des couvents et des monastères pourraient se retrouver très rapidement sur le marché avec comme perspectives de réhabilitations nouvelles. Si les prêtres en sont bouleversés, les promoteurs immobiliers, eux, se frottent déjà les mains.

PAS DE TRANSACTION SANS ACCORD

La plus grande terreur des prélats français, c’est que certaines églises puissent être transformées en boîtes de nuit ou en sex-shop. La loi prévoit toutefois qu’avant de vendre une église, le maire de la commune doit dans un premier

temps obtenir l’accord de l’évêque avant la transaction et celui-ci doit être tenu au courant du projet des acquéreurs pour donner son accord. Ainsi en France, un antiquaire célèbre pour ses participations dans des émissions de télévision s’est vu refuser l’acquisition d’une église qu’il imaginait transformer en lieu de brocante et de décoration.

Mais ce garde-fou a ses limites, car, à partir du moment où l’acquéreur décide à nouveau de vendre le bien, l’église n’a plus son mot à dire sur son utilisation éventuelle.

En attendant, à Nantes la transformation d’une église en hôtel fait le bonheur des touristes, mais n’a pas été une mince affaire pour les entrepreneurs. En effet, comme elle est classée monument historique, la loi empêche de modifier l’allure du bâtiment. Interdiction donc de faire tomber un mur, de rajouter une ouverture ou de modifier de manière définitive tout aspect de l’église. Il a fallu faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour le chantier de cet hôtel Sozo. Une métamorphose qui a un prix élevé, mais dont le résultat est réussi. Et qui naturellement pourrait faire des émules.

Et aujourd’hui, on peut voir de plus en plus de petites églises en vente dans les agences immobilières. Compte tenu de l’exode urbain post-pandémie, celles-ci attisent les convoitises. Avec une réserve cependant: le prix d’aménagement. Ce sont des bâtiments sans sanitaires, avec des chauffages archaïques et sans le moindre isolement. Alors que les prix de l’énergie et des matériaux flambent, il faut y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans de telles aventures. En attendant, les décorateurs et les investisseurs regardent ce qui s’est déjà fait dans le domaine au Canada, mais aussi en Europe du nord où ces réhabilitations existent depuis plusieurs décennies.

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