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Question de pourboires

YVON LAPRADE Collaboration spéciale

Quand vous allez au restaurant, vous donnez combien en pourboire au serveur ou à la serveuse? Le total des deux taxes, soit l’équivalent de 15 %? Un peu plus, un peu moins?

Aujourd’hui, on jase...

Êtes-vous du genre à verser un gros tip à la fin du repas pour signifier votre satisfaction?

Quand vous commandez au comptoir pour emporter, sortez-vous votre p’tit change pour encourager l’employé payé au salaire minimum?

Petit rappel : la restauration a beaucoup souffert au cours des deux dernières années en raison de la pandémie. Les serveurs ont déserté les salles à manger, les cuisiniers ont éteint leurs fours, les patrons ont épongé des pertes.

Il semble que ça va beaucoup mieux depuis quelques mois.

Les clients sont de retour. Les terrasses sont animées. On réapprend à socialiser autour d’un repas à la fois goûteux et coûteux.

Si vous êtes allés au resto tout récemment, vous avez sans doute constaté que la facture est de plus en plus salée et que ça vient tout naturellement avec des pourboires de plus en plus épicés.

Cela vaut pour le club-sandwich viande brune, le fettucine sauce Alfredo et le steak frites sauce aux poivres. Idem pour les fast-food qui ont relevé le prix des cheeseburgers et des hotdogs moutarde patates pour soidisant «tenir compte de l’inflation» et des salaires plus élevés versés aux employés.

JE PARTAGE, TU PARTAGES

Revenons à la question des pourboires. Plus tôt cette semaine, Liza Frulla, «grande cheffe» de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), y est allée d’une proposition étonnante qui ferait en sorte que le 15 %, le 18 % ou le 20 % qu’on ajoute à la facture pour le service ne serait plus uniquement versé aux serveurs.

La directrice générale voudrait que les pourboires soient «partagés» entre les employés du restaurant, à commencer par les chefs cuisiniers.

«Ça prend vraiment un débat là-dessus, a exposé l’ancienne ministre libérale dans une entrevue accordée au journaliste de TVA Olivier Bourque. S’il y a un partage, c’est entre qui? Non seulement les propriétaires de restaurants, mais les chefs cuisiniers, les serveurs, tout le monde doit être consulté.»

Elle croit que le partage des pourboires est nécessaire pour «valoriser la profession», fortement déprimée à la suite des très nombreux départs de serveurs et de cuisiniers qui sont allés travailler ailleurs, dans un autre secteur, pour espérer trouver une plus grande stabilité d’emploi et des horaires plus «convenables».

Prudente, Liza Frulla n’a pas manqué de préciser qu’il faudra prendre le temps d’en discuter avec tout ce beau monde avant d’instaurer une telle pratique. Le gouvernement Legault pourrait être appelé à piquer sa fourchette dans la législation touchant les pourboires. En vertu de l’article 50 de la Loi sur les normes du travail, il est précisé que le pourboire doit être versé à la personne [le serveur] qui sert le client.

LA CSN DIT NON!

La directrice générale de l’Institut risque toutefois de rencontrer une forte opposition chez les serveurs, représentés par la Fédération du commerce CSN, qui considère que le partage des pourboires serait «une mauvaise solution à un problème

Chose certaine, le secteur de la restauration ne manque pas d’imagination pour tenter de satisfaire ses employés

réel», celui de la pénurie de main-d’oeuvre.

«Ça risquerait de déplacer le problème de recrutement vers les serveurs», a réagi, dans un communiqué, le trésorier de la Fédération, Michel Valiquette, également responsable politique du secteur tourisme et diplômé de l’ITHQ.

Le syndicaliste considère que l’idée de partage, totalement assumée par l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ), ne réglerait absolument rien. Il pense même que ça ne ferait que «corriger les salaires d’un groupe moins bien payé (les chefs cuisiniers) sur le dos d’un autre groupe mieux payé [les serveurs]».

Puisqu’on y est, ça gagne combien un serveur?

En 2021, si l’on se réfère aux chiffres de l’ARQ, c’était 35,92 $ l’heure (en tenant compte des pourboires).

Un chef cuisinier, qui a pourtant la responsabilité de préparer de bons repas pour fidéliser la clientèle, et non pas pour la contrarier, devait se contenter d’un taux horaire de 23,14 $.

Quant aux plongeurs, leur salaire était de 15,07 $.

L’EXEMPLE DE LA FRANCE?

Chose certaine, on n’a pas fini d’entendre parler des pourboires. Il s’en trouvera pour nous proposer la formule à la française, en vertu de laquelle les propriétaires de restaurants ajoutent environ 15 % du prix de la facture pour couvrir les frais de service. Peu importe qu’on soit satisfait ou non de la qualité du service et de la nourriture...

Au Québec, le fruit est-il mûr pour qu’on expérimente cette façon de faire? Parce que nous sommes distincts, et pas seulement sur le plan de la langue et de l’identité, allons-nous trouver une solution mitoyenne qui va faire le bonheur des uns et des autres?

Chose certaine, le secteur de la restauration ne manque pas d’imagination pour tenter de satisfaire ses employés. Un exemple? Les pourcentages suggérés — 15 %, 18 %, 20 % — quand vient le temps de payer avec sa carte en plastique sur le terminal de paiement programmé avec des options de pourboires.

Dans une chronique parue à la mi-juillet dans La Presse — et qui a fait beaucoup réagir —, ma collègue Marie-Ève Fournier est revenue sur cette façon de faire qui ne fait pas l’unanimité chez les clients.

C’est courant, entre autres, dans les restaurants qui proposent des commandes à emporter. C’est le cas, aussi, pour les boulangeries et les bars laitiers.

On a appris, dans sa chronique, que ce sont les exploitants [de ces restaurants] qui ont mis en marche la fonction pourboire sur leurs terminaux «pour aider leurs employés malmenés par la pandémie et [que] ça a été maintenu», dixit Martin Vézina, porteparole de l’ARQ.

On n’arrête pas le progrès. Mais parfois, on aime bien savoir qui l’a inventé...

AFFAIRES

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

2022-08-13T07:00:00.0000000Z

https://lesoleil.pressreader.com/article/281852942350450

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