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COVID LONGUE : QUAND LA VIE BASCULE

PAULE VERMOTDESROCHES CHRONIQUE pvermot@lenouvelliste.qc.ca

«Il faut que j’apprenne à accepter que ma vie d’avant, elle ne reviendra peut-être pas. C’est probablement ça qui est le plus difficile d’accepter. Mais si je choisis d’en parler aujourd’hui, c’est pour aider les autres qui souffrent en silence. Et aussi pour dire qu’il va falloir qu’on nous aide, parce qu’on n’a pas idée à quel point il y a des gens qui souffrent en ce moment.»

La vie de Marie-Ève Marchildon a complètement basculé le 18 mars dernier, lorsqu’elle a contracté la COVID. À la faveur d’une énième vague, le virus s’est frayé un chemin jusque chez cette femme de Trois-Rivières, qui avait pourtant reçu ses trois doses de vaccins. Si la maladie ne lui a causé que quelques petits malaises lors des premières 48 heures, elle l’a complètement terrassée à partir de la troisième journée. Et depuis cinq mois, Marie-Ève peine à remonter la pente, elle à qui on a diagnostiqué une forme sévère de COVID longue.

Tachycardie posturale, problèmes respiratoires, essoufflements intenses, pertes de mémoire, perte de concentration et surtout, surtout, une fatigue extrême qui la force à dormir pratiquement 20 heures par jour sans jamais récupérer, voici à quoi ressemble maintenant la vie de cette femme qui était pourtant très active et qui travaillait comme représentante dans le secteur alimentaire dans l’est du Québec.

Il aura fallu près de deux semaines entre le premier contact avec Marie-Ève et le moment où l’on a pu enfin se rencontrer pour l’entrevue. Chaque jour, elle devait évaluer si elle avait la force nécessaire pour me recevoir. Chaque geste du quotidien est devenu un véritable combat pour elle. Au départ, lors du diagnostic, elle ne buvait que des suppléments alimentaires tellement le simple mouvement de mastiquer lui semblait trop demandant. Une petite action comme celle de transférer une brassée de linge de la laveuse à la sécheuse pouvait faire augmenter son pouls de façon importante, au point où elle en vomissait et en perdait l’équilibre. Et pour monter les marches de son appartement qui est situé au second étage d’un duplex, Marie-Ève doit s’y prendre en trois étapes, en faisant des pauses importantes, simplement pour ne pas s’essouffler et faire grimper dangereusement son rythme cardiaque.

Marie-Ève n’est pas seule dans son cas. Des milliers de personnes au Québec ont déjà développé une forme ou l’autre de COVID longue, soit la persistance d’un ou de plusieurs symptômes au-delà de trois mois après un test positif de COVID-19.

Une récente étude sortie la semaine dernière, comptant cette fois sur des groupes témoins, établit que 12,7 % des gens ayant contracté la COVID développeront une forme de COVID longue, indique le professeur de l’Université de Sherbrooke Simon Décary, directeur scientifique du Réseau québécois COVID-Pandémie pour les soins de longue durée. Ce sont toutefois des chiffres pré-Omicron. Dans le cas du variant ayant davantage frappé à la fin de 2021 et au début de 2022, ce pourcentage se situerait davantage autour de 5 % chez les patients triplement vaccinés.

«De ce nombre, un certain pourcentage développera une forme sévère de la COVID longue, menant à des handicaps», précise le professeur.

D’autres études cependant établissent ce pourcentage à 20 %, 25 % et parfois même au-delà.

«PROBLÈME SOCIAL»

C’est pour venir en aide à toutes ces personnes que Carrie Anna McGinn, une résidente de Québec atteinte d’une forme très sévère de COVID longue, a choisi de fonder un groupe de soutien sur Facebook afin d’aider les gens à mieux comprendre la maladie, diffuser les connaissances développées par la science et surtout offrir du soutien pour ceux et celles atteints de ce mal encore trop peu connu. Le groupe «COVID longue Québec long COVID» compte déjà 1400 membres depuis sa fondation en janvier 2022, dont Marie-Ève Marchildon qui a pu y trouver de nombreux outils. «Et 1400 personnes, ce n’est que la pointe de l’iceberg», prévient Mme McGinn.

Ce qu’on observe au quotidien à travers les échanges dans ce groupe, c’est à quel point la COVID longue cause une détresse chez les personnes atteintes, révèle la fondatrice du groupe. Une détresse physique, oui, mais également psychologique et financière. Car au-delà des 15 semaines d’assurance maladie prévues par le gouvernement, une période largement insuffisante pour les patients atteints, plusieurs personnes peinent à faire reconnaître le diagnostic auprès de leur assureur, leur employeur ou encore de la RRQ.

Résultat : nombreux sont les patients qui vivent présentement sans revenus, puisqu’ils sont inaptes au travail. Et comme les listes d’attente s’allongent dans les quelques centres spécialisés qui offrent des services aux patients atteints de COVID longue, impossible pour eux de pouvoir se tourner vers le privé.

Pour Marie-Ève Marchildon, le retard de son ancien employeur à lui émettre son relevé d’emploi a fait en sorte qu’elle a dû vivre pendant plus de quatre mois sans aucun revenu. «J’ai dû emprunter, je me suis endettée, j’ai touché à des économies pour la retraite. Heureusement, j’ai eu la chance d’être bien entourée et d’être aidée par mes proches. Mais ça cause un stress incroyable au moment où on n’a absolument aucune énergie, où le simple fait de se lever de son lit est un combat quotidien», considère-t-elle.

Ailleurs au Québec, Carrie Anna McGinn illustre que des personnes atteintes ont dû vendre leur maison, changer d’appartement et, dans certains cas, retourner vivre chez leurs parents. Pour certains, ils ne peuvent plus se déplacer autrement qu’en fauteuil roulant, sans compter les problèmes de mémoire, de concentration, etc. L’inaptitude au travail pour plusieurs demeure encore un sujet méconnu et peu pris en compte par le monde du travail, qui apprend lui aussi tranquillement à devoir conjuguer avec les effets de la COVID longue.

«Il manque actuellement un filet social pour ces gens, et il va

«Il manque actuellement un filet social pour ces gens, et il va falloir y remédier parce que c’est un véritable problème social»

— Carrie Anna McGinn, atteinte d’une forme très sévère de COVID longue

falloir y remédier parce que c’est un véritable problème social», croit Mme McGinn.

LA SCIENCE S’Y PENCHE

À l’Université du Québec à Trois-Rivières, le professeur au département de biologie médicale Lionel Berthoux explique qu’une partie de la communauté scientifique parle de la COVID longue comme étant déjà un problème de santé publique majeur. Une vingtaine d’essais cliniques sont présentement en cours afin de tester l’efficacité de certains médicaments sur les effets de la COVID longue, dont ceux s’apparentant à l’encéphalomyélite myalgique, anciennement appelée le syndrome de fatigue chronique. On étudie aussi les différentes hypothèses identifiées comme pouvant être des sources potentielles de développement de la COVID longue. Parmi eux, le professeur identifie la possibilité que le virus ait causé des dommages aux vaisseaux sanguins par la formation de micro caillots sanguins, la persistance de réplication du virus dans certains organes réservoirs ou encore un dysfonctionnement de la réponse immunitaire.

De son côté, à l’Université de Sherbrooke, le professeur Simon Décary travaille à mettre en place une approche de traitement sécuritaire pour les patients atteints, avec les connaissances que l’on a jusqu’ici. Car si on avait tendance à penser qu’une baisse d’énergie pourrait se soulager par l’encouragement à l’effort, on sait aujourd’hui que c’est plutôt l’inverse pour la COVID longue.

«L’effort physique et cognitif, c’est le nerf de la guerre. C’est souvent ce qui fait vivre des rechutes aux patients. C’est pourquoi, bien souvent, le retour au travail est la chose la plus difficile pour eux. Lors de la première phase de nos suivis, on doit surtout aider le patient à cheminer avec ses nouveaux symptômes. C’est davantage une approche de pacing. C’est ce qui nous permet d’amener le patient vers une stabilisation», considère Simon Décary.

LA MÉTHODE DE LA CUILLÈRE

C’est un peu ce que MarieÈve Marchildon a mis en place pour sa vie de tous les jours : la méthode de la cuillère. En symbolisant son niveau d’énergie avec, par exemple, douze cuillères par jour, elle doit planifier chacune de ses activités quotidiennes en fonction des cuillères d’énergie que ça lui demandera. Pour réaliser notre entrevue, elle avait planifié trois cuillères. Faire sa vaisselle lui en demandera un peu moins, mais elle ne doit pas rester trop longtemps debout pour la faire.

C’est cette méthode qui lui permettra de passer à travers ses journées. Sans jamais en faire trop.

Les quelques spécialistes qui étudient intensivement la question au Québec s’inspirent de plus en plus des approches réservées aux autres maladies déjà connues. Outre l’encéphalomyélite myalgique, on s’intéresse aussi aux conditions cardiaques, mais également aux symptômes du traumatisme crânien, qui s’approchent grandement de ce que les patients disent ressentir comme un «brouillard mental».

«On accuse présentement 30 ans de retard dans la recherche sur les handicaps suivant les maladies virales. On ne s’est pas suffisamment intéressé à ça, et c’est pourquoi nous en sommes là. Notre clinique de Sherbrooke a, dès le départ, accepté des patients de partout au Québec, mais nous avons maintenant des listes d’attente de quatre à six mois. Mais de plus en plus, il y a des efforts de formation des autres professionnels. En Montérégie, on a déjà pu former une bonne cinquantaine de soignants, ce qui va grandement nous aider», confie le spécialiste, qui assure que le réseau de cliniques post-COVID annoncé par le gouvernement se mettra en place.

«J’ai les deux mains là-dedans en ce moment. Ça va se mettre en place», martèle-t-il.

Pour sa part, bien qu’il reste à grandement bonifier les services et à faire encore beaucoup d’éducation, Carrie Anna McGinn est d’avis que le gouvernement doit parler davantage des effets de la COVID longue lorsqu’il parle de la pandémie... même si ce n’est pas très payant politiquement.

«On dirait qu’on a négligé de façon intentionnelle les victimes de la COVID longue. Mais je crois que si on communiquait mieux les risques, si on expliquait bien aux gens avec quels symptômes persistants ils peuvent vivre, qu’on peut même développer une condition qui va nous rendre inapte au travail pour toujours, je crois que les gens seraient davantage en mesure de prendre une décision éclairée sur les mesures à adopter pour se protéger du virus», confie-t-elle.

En attendant, la Trifluvienne Marie-Ève Marchildon tentera un retour au travail sous peu, à la lumière d’une certaine amélioration de sa condition et de ses nouvelles techniques pour mieux gérer son énergie durant la journée. Elle vient de trouver un nouvel emploi, en télétravail, qu’elle débutera dans quelques semaines.

«Ça va me demander énormément d’efforts, je le sais. Mais un moment donné, on n’a plus le choix. On doit pouvoir manger et payer le loyer comme tout le monde. Je vais me donner tous les moyens pour que ça se passe bien. C’est aussi ce que j’ai envie d’enseigner à ma fille : qu’il faut savoir se relever», considère-t-elle.

LE POINT

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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