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LE PAPE EST REPARTI. ET MAINTENANT?

KONRAD SIOUI Collaboration spéciale

Il faisait très chaud et l’humidité ambiante à l’intérieur de la basilique Sainte-Anne-deBeaupré nous avait rendus impatients tellement l’attente était longue avant d’être en compagnie du pape François pour la grand-messe. L’ordre reçu la veille par les responsables du comité paroissial de Sainte-Anne exigeait notre présence pas plus tard que 3h du matin au Centre Vidéotron pour nous remettre notre passe et nous donner les directives à suivre impérativement.

La ville était scellée à double tour et seuls les autobus dûment assignés pouvaient circuler vers la basilique. Des cortèges policiers veillaient partout à la sécurité et l’ordre. Une fois entrés dans le périmètre de l’église, nous ne pouvions plus en ressortir, sous aucun prétexte. L’attente allait durer au moins six heures et les murmures devinrent bientôt des grondements de plus en plus lourds provenant des aînés et des personnes à mobilité réduite, qui se plaignaient de ne pas avoir été placés directement devant l’autel. Ils et elles avaient plutôt été installés derrière la centaine de prêtres en tuniques blanches. Mes interventions n’allaient pas trouver écho. Dehors, quelques milliers de pèlerins suivaient l’événement sur écran géant, sous un soleil de plomb.

Nous avions suivi le début de la visite du pape à Edmonton et nous avions été témoins des paroles exprimées. Nous étions en attente de celles qui restaient à dire afin que sa mission soit perçue comme un véritable acte de contrition demandant pardon pour les péchés mortels commis par ses apôtres oeuvrant au sein de son Église à l’endroit de ces petites âmes sans défense.

Il avait accepté la coiffe de Grand Chef honoraire des Premières Nations et il allait assurément remplir son obligation d’aide et de soutien auprès des plus jeunes en particulier.

TERRA NULLIUS

Durant cette interminable attente jusqu’à la messe de 10h, je me mis à réfléchir sur ces concepts de terra nullius [territoire sans maître] et de bulle papale où, au Moyen-Âge, l’Église décréta que la découverte de nouveaux continents ou de nouvelles terres pouvait légitimer les gouvernements d’alors à s’en emparer simplement dû au fait que leurs habitants n’étaient pas chrétiens ni baptisés. C’est ainsi, au nom de Dieu, que la dépossession fut rendue légitime et que les Premières Nations des Amériques, entre autres, ont fait face à la violence et à la mort aux mains des conquérants européens.

Je me souvins aussi que le même argument juridique archaïque avait été utilisé comme fonde- ment de dépossession lorsque l’on nous opposa en 1982, dans la cause Sioui, que la découverte du Canada par Jacques Cartier avait fait en sorte que tous les habitants étaient devenus des sujets du roi de France, à partir du moment où l’on planta une croix sur notre sol. C’était une terra nullius.

Je suis rapidement allé voir dans les récits officiels de Jacques Cartier ce qu’en pensait notre Grand Chef ThonnaKona (Donnacona).

«Quand Cartier érige une croix à Honguedo (Gaspé), le Chef Donnacona proteste. Pour les Français, l’érection de la croix est un acte symbolique afin de marquer et de légitimer la prise de possession du pays indien au nom du roi de France. Dans son journal de voyage, Cartier raconte la réaction de Donnacona : il nous fit une grande harangue nous montrant ladite croix, et faisant le signe de la croix avec deux doigts, et puis il montrait la terre, tout autour de nous, comme s’il eut voulu dire que toute la terre était à lui, et que nous ne devions pas planter ladite croix sans sa permission…»

Enfin, au printemps 1990, après de nombreuses années passées devant toutes les tribunes et tous les tribunaux, nous avons accueilli avec grande satisfaction ce jugement unanime de la plus haute instance juridique au Canada, la Cour suprême, voulant que ce concept de terra nullius soit désormais banni des arguments légaux ayant comme prémisse toute forme de dépossession basée sur la valeur intrinsèque des êtres humains vivant et occupant un territoire qui leur est propre.

Le message du pape François au Canada n’en est pas seulement un de vérité, mais aussi de réconciliation visant le futur et les gestes concrets qui s’en suivront. Elle repose maintenant sur des assises solides et ancrées dans des valeurs de partage et d’unité.

L’alliance entre nos peuples, peu importe la couleur ou l’origine, est le meilleur espoir de sécurité et d’harmonie pour les sept prochaines générations. Notre diversité est notre meilleur gage d’égalité et de paix, autour du grand cercle.

Grand Chef de la nation huronnewendat de Wendake de 2008 à 2020, Konrad Sioui est depuis 2021 président du conseil d’administration de la SAAQ. Il partage une fois par mois ses observations sur la société québécoise sous l’angle des enjeux des nations autochtones.

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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