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PORTRAIT DU JARDINIER EN MODÈLE MORAL

Daniel Desroches, PhD. Environnementaliste et fondateur des Amis du Boisé Neilson

Je ne suis pas jardinier ni horticulteur de profession, mais j’aime les plantes. J’aime ces êtres qui «incarnent le lien le plus étroit et le plus élémentaire que la vie puisse établir avec le monde», selon la formule d’Emanuele Coccia. En amateur, je pratique la botanique et consacre mes soins à un modeste aménagement végétal qui héberge surtout des plantes sauvages. Peut-être que l’état de santé de Larry Hodgson m’interpelle, mais je dois dire que je ne connais pas personnellement le Jardinier paresseux. Si j’ai consulté plusieurs textes qui m’ont été utiles, c’est pourtant ailleurs que je vois la contribution véritable des amis des plantes dont il est l’inspiration et le modèle.

En effet, j’estime que le jardinier est un être profondément moral. Parce qu’il embellit l’espace qui l’entoure et rend son milieu de vie plus attachant, il vaut la peine qu’on parle de lui. Les jardiniers et les jardinières aiment les plantes, parce qu’ils aiment la vie, une vie végétale qui n’a pourtant rien à faire de la nôtre! Si notre jardinier cultive un potager, c’est pour nourrir des proches sainement et éviter que son panier d’épicerie ne contienne des légumes cirés venus de très loin. S’il cultive sur son toit, le jardinier urbain réduit d’autant l’albédo et lutte à sa façon contre les îlots de chaleur qui font suffoquer les villes. Contrairement à celui qui nettoie son entrée au boyau, notre jardinier connaît la valeur de l’eau et sait que l’or bleu doit être économisé.

Mais notre ami des plantes est plus précieux encore : s’il aménage une plate-bande fleurie, il devient alors le meilleur ami des pollinisateurs et de tous ces insectes qui tendent à disparaître. Notre jardinier connaît souvent les espèces par leur petit nom, un nom latin indispensable pour savoir de quoi on parle. À ce propos, il n’ignore rien du rôle d’Asclepias syriaca pour la survie des monarques ni de la contribution de Taraxacum officinale pour nos abeilles.

Par ailleurs, s’il a planté quelques arbres, s’il a des arbustes, des plantes sauvages, des fougères et qu’il respecte ses mousses, son aménagement est devenu un écosystème qui sert d’habitat à une multitude de vivants. Adepte de la permaculture et des vertus du compagnonnage végétal, le jardinier travaille pour des êtres qui ne pourront jamais le remercier. Sans même le savoir, il partage la maxime fondamentale de l’éthique de la terre d’Aldo Leopold (1948) selon laquelle «Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse.»

Ce portrait du jardinier doit être complété par sa patience inimaginable par rapport à la spontanéité de l’homme d’action qui «plante des infrastructures», souvent au prix du déboisement et de la dégradation environnementale. En effet, si notre homme a mis en terre un arbre fruitier, s’il sélectionne des plantes pour trouver la mieux adaptée à nos conditions ou s’il compte obtenir la floraison d’une orchidée, il lui faudra être très patient, car c’est seulement à travers les saisons et les années qu’il pourra savourer le fruit d’une oeuvre discrète dont peu de gens saisissent la dépendance au temps. Tout ce qui est beau a exigé du temps; on ne peut pas dégrader la nature sans que la restauration implique des décennies : nous avons appris cela avec L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono paru en 1954.

Il me faut dire enfin que le jardinier répugne à éliminer les plantes adventices et sait très bien que les «mauvaises herbes», cela n’existe pas. Au moins, se console-t-il, les lambeaux que j’ai arrachés aujourd’hui iront au compost et serviront demain d’amendement naturel ou de paillis pour protéger du soleil le fragile écosystème du sol. À propos de l’élimination des parasites et des ravageurs, même si notre jardinier n’a pas lu le Printemps silencieux (1962) de Rachel Carson, il s’opposera à l’usage de tout produit chimique. Si c’est toxique pour les plantes ou pour les insectes, se dit-il, c’est sûrement toxique pour tous les autres êtres qui constituent le réseau trophique et qui forment les chaînes alimentaires…

En conclusion, je crois avoir montré pourquoi notre jardinier est un modèle moral. Et comme son activité est bénéfique pour la planète, qu’elle contribue à entretenir notre équilibre mental et que la sécurité alimentaire n’est pas garantie, je me réjouis d’appendre que de plus en plus d’écoles participent à des projets de jardinage et qu’ainsi des enfants mettent leurs mains dans la terre. Enfin, puisqu’une belle communauté de jardiniers s’est développée ces dernières années grâce, entre autres, à M. Hodgson, cette activité est donc rassembleuse et fait ainsi partie des solutions aux défis auxquels nous devrons faire face dans un avenir rapproché. Avant de soumettre ce texte, j’ai partagé ma réflexion avec le Jardinier paresseux qui m’a autorisé à la diffuser largement. Chaque chose en son temps, mais il serait bon qu’un jour la Ville de Québec reconnaisse à sa juste valeur la remarquable contribution ainsi que l’oeuvre de Larry Hodgson.

Les jardiniers aiment les plantes, parce qu’ils aiment la vie, une vie végétale qui n’a pourtant rien à faire de la nôtre!

PLACE PUBLIQUE

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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