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«OÙ SONT CES ENFANTS?»

Une campagne d’affichage exacerbe les débats sur la natalité en Pologne

NELL SAIGNES

VARSOVIE — Impossible d’y échapper : des portraits de deux fillettes blondes en robes immaculées, dans un champ de blé baigné d’une lumière d’or crépusculaire, recouvrent depuis quelques semaines les panneaux publicitaires aux quatre coins de la Pologne.

Cette campagne, oeuvre d’une fondation catholique, dénonçant la baisse de la fécondité, suscite des réactions crispées dans un pays gouverné par les conservateurs populistes, où les sujets liés à la famille et aux droits reproductifs concentrent de vives tensions.

La photographie des fillettes est accompagnée de pictogrammes, indiquant qu’une famille polonaise n’engendre désormais en moyenne qu’un enfant et demi, contre cinq dans les années 1950.

L’ensemble est flanqué d’une légende alarmante : «Où sont ces enfants?».

Les détournements de la campagne ont rapidement essaimé, sous forme de memes ou de publicités pour parcs aquatiques et restaurants à raviolis polonais demandant : «où sont ces pierogis?».

CAMPAGNE IDÉOLOGIQUE?

Les chiffres concernant les années 1950 ont beau être exagérés, le taux moyen de fécondité actuel reste préoccupant : avec 1,4 enfant par femme, la Pologne est en dessous de la moyenne européenne et du seuil du renouvellement des générations.

«Notre campagne n’a pas de but idéologique ou politique : elle invite simplement les gens à réfléchir», affirme la fondation Kornice dont le président, entrepreneur proche des milieux catholiques, compte parmi les grandes fortunes du pays.

Kornice s’est fait déjà remarquer par d’autres campagnes controversées, notamment antiavortement et anti-divorces.

Mais pour Paulina Zagorska, une militante féministe, «le sous-entendu fondamentaliste de ces affiches est évident : leurs auteurs imputent la chute de la natalité à la contraception et à la remise en cause de la famille traditionnelle».

Plusieurs commentateurs ont saisi l’occasion pour dénoncer la quasi-interdiction des avortements, impulsée par le gouvernement en octobre 2020, et étriller sa politique familiale.

Selon l’eurodéputé d’opposition Robert Biedron (gauche), «les enfants manquent à cause du déficit de garderies et d’écoles maternelles [...], des salaires trop bas [...], de la peur de tomber enceinte suite à des lois antiavortement inhumaines».

Une étude, publiée en mai 2022 par les bureaux d’études SW Research et Garden of Words, estimait que la moitié des Polonaises trouvaient leur pays peu favorable à la maternité, notamment à cause des restrictions autour de l’avortement et de l’accès difficile aux soins médicaux.

MISSION NATIONALE

Pourtant, la natalité compte parmi les fers de lance du parti gouvernemental, dont une allocation mensuelle fixe versée aux ménages pour chaque enfant, est une mesure emblématique.

Les politiques familiales portées par les conservateurs ambitionnent de stabiliser l’installation des jeunes ménages et de leur permettre d’assurer la garde des enfants pendant les premières années de vie.

Pour les critiques, elles sont surtout pensées pour favoriser le modèle traditionnel de la famille et inciter les femmes à rester au foyer.

Ce que le ministère de la Famille assume à demi-mot.

Dans son plan d’orientation pour la fécondité, il qualifie celle-ci d’«enjeu vital», qui doit être défendu «y compris au prix du retrait temporaire du marché du travail pour les femmes ayant une préférence pour l’éducation de leurs enfants».

Pour la professeure Irena Kotowska du Comité de démographie de l’Académie polonaise des sciences, les politiques natalistes conservatrices, adoptées en Pologne sous l’influence de l’Église, restent «inefficaces».

Alors que la Pologne compte aujourd’hui 38,2 millions d’habitants, sa population pourrait baisser de 2,3 millions de personnes d’ici 2040, selon une prévision d’Eurostat.

Outre le contexte actuel, cette baisse est également due à des facteurs historiques.

«Le chômage massif, engendré par le passage brutal à l’économie capitaliste, a entraîné une chute de la natalité dans les années 1990 dans les pays de l’ex-bloc de l’Est», rappelle Mme Kotowska.

«Les femmes nées dans ces années, en âge de procréer, sont donc peu nombreuses et ont peu d’enfants».

La République tchèque, autre ancien pays communiste avec un parcours historique semblable, a su atténuer la tendance «grâce à des politiques progressistes, fondées à la fois sur l’égalité des sexes, la prise en charge institutionnelle et l’adaptation du marché du travail».

Mme Kotowska doute que l’afflux d’Ukrainiens, principalement de femmes et d’enfants, cherchant refuge en Pologne après l’invasion russe, «inverse le déclin de la population».

On pourrait certes envisager une immigration venue d’autres pays du monde, mais «je doute que ce soit envisageable en Pologne, où la politique natale est intrinsèquement liée au nationalisme et à l’ethnie», insiste-t-elle.

En attendant, dans un rapport officiel, le gouvernement alerte sur le risque à long terme de «disparition biologique de la nation polonaise».

LE MONDE

fr-ca

2022-08-13T07:00:00.0000000Z

2022-08-13T07:00:00.0000000Z

https://lesoleil.pressreader.com/article/282192244766834

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