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L’APRÈS-PANDÉMIE EN COULISSES

LÉA HARVEY lharvey@lesoleil.com

Après plus de deux ans à jouer au yo-yo entre les fermetures et les réouvertures dues à la pandémie, les arts de la scène ont été fragilisés. Sans doute davantage en coulisses, où les artisans de l’ombre ont été durement touchés. Pendant que la vie culturelle reprend tant bien que mal son erre d’aller, le milieu cherche à regarnir ses rangs et à prendre soin de ses professionnels.

Vague de suicides, détresse psychologique, démissions, réorientations : la pandémie a frappé durement les artisans de la scène. Secoué par les derniers mois, le milieu tend toutefois tranquillement l’oreille à ses professionnels qui sont au bout du rouleau.

Techniciens, concepteurs, scénographes et autres employés entameront la rentrée culturelle encore plus essoufflés qu’au début de l’été.

Si le devant des scènes de Québec est en pleine ébullition, les artisans qui travaillent derrière le rideau accumulent quant à eux un poids persistant sur leurs épaules.

«On est tous contents de se retrouver, mais je sens de l’épuisement. Je le vois et je le vis. Ce n’est pas un épuisement que je connais, celui qui est dû au fait d’avoir trop travaillé. C’est la fatigue d’être en réorganisation continuelle», explique le scénographe Vano Hotton, qui cumule 24 ans d’expérience dans le domaine.

Devant l’état des troupes, La table de concertation de la relève du Conseil québécois du théâtre demandait d’ailleurs, en mai dernier, une «refonte» du milieu.

«Le paysage théâtral québécois du printemps 2022 est fait de ruines. Des ruines humaines faites d’innombrables épuisements professionnels, d’insécurité financière, de stress qui ronge les os à force de reports, d’annulations et d’embouteillage de programmations», constatait le groupe, créé en 2021 pour faire le point sur l’état de leur industrie.

Bien que des actions tangibles soient toujours attendues, des professionnels reconnaissent depuis une certaine écoute de la part du milieu lui-même, mais aussi de la population générale.

«Notre métier, c’est un métier de l’ombre. Les gens ne pensent pas à nous lorsqu’ils entendent parler d’un événement. Mais j’ai l’impression que monsieur et madame Tout-le-Monde se rendent compte du poids qu’on peut avoir dans une production.

«Ils découvrent aussi que [les techniciens] ne sont pas juste dans le milieu du spectacle, mais également dans les événements sportifs, corporatifs. En tout cas, j’observe ça dans mon entourage», relate MariePier Faucher-Bégin, directrice technique du théâtre Périscope.

Pour celle-ci, la pandémie aura assez ébranlé le milieu pour qu’on voie poindre à l’horizon l’ouverture d’une réelle discussion dans certains endroits.

«J’ai l’impression qu’on cherche des nouvelles manières de travailler ensemble», ajoute-t-elle, précisant que tout reste cependant à faire pour observer des gestes concrets.

Si les équipes sont un peu plus sensibles, tout n’est pas gagné d’avance. L’effervescence artistique dans les salles et la joie des artisans d’enfin présenter spectacles et pièces de théâtre n’effacent donc pas les profondes réflexions à venir.

«Je ne manque pas de travail présentement, mais il y a des périodes sombres. […] Ce n’est pas parce qu’on roule pendant deux ou trois ans qu’on est guéri de la précarité.

«Pour moi, c’est un travail continuel de défendre ces droits. Il faut surveiller, guetter qu’il n’y ait pas d’appauvrissement, de perte de contrôle. Je ne vous cacherai pas que c’est un peu fatigant. Après un certain nombre d’années, on devrait être pris au sérieux», soutient Vano Hotton, qui a récemment travaillé sur les pièces Rolande et Roland (Théâtre du Gros Mécano), La bête à sa mère (Le Trident) et Les muses orphelines (La Bordée).

UN AVENIR À CONSTRUIRE

Pour Marie-Pier Faucher-Bégin, l’après-pandémie est un bon moment pour «changer les mentalités». Alors que l’industrie tente de se stabiliser malgré les vagues de COVID-19 qui s’accumulent, il est important de rappeler la précarité des métiers qui oeuvrent derrière le rideau, qu’on parle «d’honoraires», de «conditions de travail» ou de «filet de sécurité pour les travailleurs».

«On essaie de se soutenir ensemble. […] Il faut trouver des nouvelles façons de travailler sans s’épuiser, sans mettre un crédit à long terme sur notre carrière», affirme celle qui a mis en place, dans son collectif indépendant, une éthique de travail qui prône la communication et tente d’éviter l’épuisement professionnel.

Vano Hotton souhaite quant à lui que son domaine conserve deux choses stimulantes de la pandémie : le temps vaste dédié à la création qui lui a permis de livrer des «projets plus aboutis» et la place laissée à la nouveauté et la spontanéité.

LE MAG

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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