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PLUS DE 740 CONTENTIONS EN CENTRE JEUNESSE

MYLÈNE MOISAN CHRONIQUE mmoisan@lesoleil.com

Un an que le père essayait d’avoir de l’aide pour son fils, un an qu’il gérait du mieux qu’il pouvait ses crises et ses problèmes de comportements. La DPJ a dû être appelée en renfort. «Pour le stabiliser, ils nous ont proposé de le placer la semaine, qu’il continuerait à aller à l’école et que la fin de semaine, il viendrait chez nous.»

C’était à l’automne 2019, quelques mois avant ses sept ans.

Le père a accepté, il voulait de l’aide, il voulait surtout aider son gars. «Au début, c’était une ressource familiale, ça se passait plutôt bien. Puis il y a eu la COVID, il ne pouvait plus nous voir et ça a été vraiment difficile pour lui. Ses crises violentes ont commencé, on a eu une réunion où ils nous ont proposé de l’envoyer [au centre jeunesse] Huberdeau. On a accepté, on n’avait pas vraiment le choix.»

Son fils a été transféré comme un prisonnier. «Ils l’ont embarqué dans un fourgon avec cinq agents. Le petit était assis dans un banc de bébé avec un agent à côté de lui, avec un véhicule qui suivait. Je vais m’en rappeler toute ma vie, c’était assez spécial.»

Surréel.

Deux semaines plus tard, on l’a changé de centre, cette fois à Sainte-Sophie. «Il était dans une unité avec les adolescentes et ça se passait très bien, ses comportements se sont stabilisés. C’est le bout où il était le mieux.»

Mais la lune de miel n’a pas duré longtemps, la DPJ l’a replacé à l’été 2020 au centre de réadaptation de Saint-Jérôme, dans l’unité

L’Odyssée. Au travers les formalités d’admission, il a donné son consentement à des mesures de contention. «Ils te présentent ça comme quelque chose de positif, que c’est pour le protéger, pour éviter qu’il se fasse mal. Tu acceptes en te disant que ça va être quelque chose d’exceptionnel pour des cas extrêmes.»

Pendant deux ans, il a eu plus de 740 contentions.

Au bout d’un certain temps, une infirmière a remarqué des bleus sur le corps de l’enfant. Elle a fait un signalement dans une autre DPJ. «Au début, ils ont enquêté sur moi, mais ils ont constaté que les bleus augmentaient quand le petit n’était pas avec moi. Alors ils en ont conclu que c’était causé par les contentions. Si ça avait été moi, imagine ce qui se serait passé, mais comme c’était eux, personne n’a eu de conséquences.»

On lui a simplement promis qu’on ferait plus attention, qu’on ajusterait les méthodes pour contrôler les crises de son garçon.

On a limité au maximum le temps que l’enfant passait avec ses parents. «Après l’enquête, ils nous ont enlevé les contacts qu’on avait. C’est devenu une heure par semaine, supervisée, dans un petit local du centre jeunesse. Ils nous disaient que c’était pour réduire l’agressivité, parce que notre garçon réagissait après les contacts, qu’il pétait des crises, qu’il se cognait la tête sur les murs.»

Les choses ont empiré. «Il ne voulait pas être là. Tout ce qu’il voulait, c’est être avec nous, et c’est pour ça qu’il réagissait.»

PRESQUE TOUS LES JOURS

Et, pendant tout le temps qu’il était là, il n’a reçu aucune aide. «Il n’a pas eu d’aide psychologique, rien. Un moment donné, on avait trouvé un psychologue, mais ils n’ont pas accepté. Il y avait un médecin qui lui faisait des prescriptions aux six mois, c’est tout. Il n’a jamais eu d’aide.»

Mais des contentions, presque tous les jours.

Quelques centaines d’entre elles sont détaillées dans un document de 474 pages dont j’ai pu prendre connaissance. On y retrouve les notes des intervenants qui sont très souvent dépassés par les comportements opposants de l’enfant et qui décrivent le recours à la contention, parfois plusieurs fois dans une même journée.

Un exemple, le 5 novembre 2020, à 11h29, «le jeune est à l’unité et se fâche, car ne veut pas aller à l’école. Le jeune nous pousse, donc nous lui donnons cinq minutes de retrait à sa chambre, mais il sort de sa chambre en prenant son rideau et va frapper une autre éducatrice. Une contention est exercée sur le jeune par l’éducatrice et les agents prennent le relais.»

Puis, à 11h58 : «La consigne était qu’il attende l’éduc dans la salle d’activité le temps d’aller lui chercher son panier scolaire. En revenant, le jeune est en train de courir dans l’unité donc nous lui disons de faire un cinq minutes dans sa chambre, mais n’écoute pas la consigne. Il frappe un agent, donc RHS et contention.»

Puis, à 14h53 : «Il entre dans le bureau, donne coup de pied sur un sac et s’enligne pour balancer une chaise, on l’intercepte, donne coup de poing, on annonce contention bras en croix fait par les éducatrices, ensuite les agents arrivent.»

Dans ses crises, plus d’une fois, il crie qu’il veut voir son père.

C’est tout ce qu’il veut.

Mais au lieu d’être écouté, des dizaines et des dizaines de fois, l’enfant se retrouve face contre terre, les bras derrière le dos jusqu’à ce qu’il calme, après quoi il doit la plupart du temps passer 15 minutes dans le local d’isolement.

On lui redonne sa doudou et son toutou.

La propreté pose aussi problème, on comprend qu’il s’échappe, en urinant ou en déféquant. On s’en sert même pour l’humilier. Le 11 février 2021, «on [lui] demande de l’aide pour ramasser les boulettes de caca de la laveuse dans laquelle ses vêtements étaient.» Il refuse, il pique une crise, se retrouve de nouveau face contre terre.

Dans les notes, on constate que la situation ne s’améliore pas du tout. Nous sommes le 12 novembre : «L’agent et moi le tenons en croix au mur le temps qu’un deuxième agent prenne la relève. Durant le déplacement, les agents ont dû retourner au mur et au sol, car le jeune frappait beaucoup trop les agents dans les jambes pour assurer un déplacement sécuritaire. Au local de retrait, il est maintenu au sol en croix et jambes maintenues par un troisième agent. Il est en prise de pouvoir et recherche le contrôle. Insulte les adultes présents et se débat. Complètement tyrannique et hurle à pleins poumons.»

Il se blesse lui-même. «Malgré les interventions faites, il nous regarde et se frappe volontairement la tête sur le mur du local de retrait. Les agents le maintiennent en croix au sol, le temps qu’il accepte la consigne de s’asseoir et de ne pas se cogner la tête.»

FROID DANS LE DOS

Au fil des mois, la situation empire. Le jeune dit qu’il souhaite mourir, tente de se rentrer un crayon à mine dans le visage, profère des insultes et des menaces de mort, demande à être frappé, se met à vouloir s’enfuir et fuguer, ce qui lui vaut évidemment plus de mesures de contention et de périodes d’isolement.

La lecture du récit détaillé de ces centaines d’épisodes de contention donne froid dans le dos. Jamais on ne remet ces méthodes en question et on note froidement les procédures qui sont faites. Par exemple, en mars 2021 : «Vérification de ses membres et aucune

marque. Tapis sous lui tout au long de la mesure.»

On note parfois une rougeur, une douleur à la cheville.

Pour le sortir de là, le père a dû se tourner vers une avocate. «Pendant environ six mois, on a demandé un élargissement des contacts et on a fini par en avoir plus. On a eu trois heures, puis des fins de semaine, et à partir de juin, on a pu en avoir comme on voulait.»

L’enfant est passé devant le tribunal cette semaine, on a mis fin au placement. «Il est content d’être revenu à la maison, il est heureux d’être dans sa chambre!»

Mais tout n’est pas réglé, le garçon de presque 10 ans a toujours besoin des soins qu’il n’a pas reçus. «On va consulter un psychologue et un médecin en octobre et une infirmière spécialisée en santé mentale en novembre.» Un rapport neurologique a été fait en septembre 2021, on y trouve des diagnostics, entre autres un trouble d’opposition, un trouble de l’attachement, aussi des troubles compulsifs. «Il a des tics, il reste bloqué sur une idée, il se gratte.»

Mais au moins, il est à la maison.

Le père, lui, reste très amer. «On leur a fait confiance. On s’est dit qu’en coopérant et qu’en disant tout, ça allait fonctionner, mais ce n’est pas ça qui est arrivé. On a dit dès le début qu’il y avait sûrement des problèmes de santé mentale, mais ils ne nous ont pas écouté, c’était toujours nous autres, le problème. Les trois dernières années ont été très difficiles. Ce n’est pas humain d’avoir à vivre ça.»

Ce n’est pas humain, non plus, qu’un enfant ait vécu ça.

Et ce n’est pas normal que la DPJ passe si facilement l’éponge sur ce qu’il a subi pendant ces deux précieuses années de son enfance, que personne n’en porte la responsabilité. Que l’enquête qui a été menée ait tourné en eau de boudin.

Faudrait-il une autre enquête?

LA UNE

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2022-10-01T07:00:00.0000000Z

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