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Quand la mort vous tend la main

Lynda Beaulieu Présidente du Diamant

Lynda Beaulieu est présidente et cofondatrice avec son frère Robert Lepage du théâtre Le Diamant à Québec.

Elle nous partage ces prochaines semaines trois textes intimistes autour du thème des valeurs. Aujourd’hui : l’accompagnement des personnes en fin de vie.

Il y a des choses qui ne s’enseignent pas sur les bancs d’école, mais qui à mes yeux sont tout aussi importantes à apprendre que l’histoire et les mathématiques. Il y a fort longtemps, à l’âge de 9 ans, grâce à ma grand-mère maternelle qui est morte sous mes yeux, j’ai appris et j’ai surtout compris que lorsque l’on trépasse, on ne cherche pas la clé de son char, mais bien la main de l’autre. Depuis l’enfance, j’ai eu la chance d’assister plusieurs personnes que j’aime en route vers la mort. Oui, j’ai bien dit la chance. Parce qu’après tout, c’est un grand privilège de pouvoir être là pour tenir la main d’un être cher afin de l’accompagner de l’autre côté de la vie. Les morts subites et les accidents nous condamnent trop souvent aux non-dits et nous privent malheureusement de grands moments de tendresse et d’adieux respectueux.

Certes, beaucoup de gens ont peur de la mort et préfèrent s’abstenir de rendre visite à une personne en fin de vie, souvent parce qu’ils ne trouvent pas les mots justes pour les réconforter. Des gens pour qui le malaise de cette dure réalité est trop grand et ils se voient paralysés devant la fatalité. Il ne faut certainement pas les juger, mais les comprendre, car ce n’est pas chose facile que d’assister à un décès. Dans ces moments, la plupart du temps le ressenti prend toute la place et les paroles semblent parfois futiles et inutiles. Je persiste à croire que le besoin le plus important pour les personnes qui attendent de fermer les yeux à tout jamais sur cette vie est de sentir une présence aimante et réconfortante pour les aider à affronter ce passage obligé.

Il y a des personnes qui envisagent la mort courageusement, d’autres ont une peur bleue de ce qui les attend, certains n’en sont pas conscients, et d’autres l’attendent ardemment. Mais une chose est certaine, peu importe la condition de la personne mourante, notre présence peut faire une grande différence. Chaque petit geste posé, ne serait-ce que de porter une cuillère ou une paille à la bouche ou d’humecter celle-ci avec une éponge, de sécuriser un déplacement, de laver un visage pour le rafraîchir ou encore de tenir un urinoir pour soulager un être dépourvu de tous ses moyens et de sa dignité, peuvent paraître bien banal, mais pourtant! Tous ces petits soins deviennent pour une période donnée une priorité et une nécessité qui ne cessent de nous rappeler que tous les acquis matériels d’une vie n’ont plus aucune espèce d’importance dans les circonstances et qu’il n’y a que la chaleur humaine qui s’avère souveraine.

Ce qui est toujours au rendez-vous lorsqu’on assiste à un décès, que ce soit pour un parent ou un ami, c’est ce sentiment d’impuissance qui n’a d’autre choix que de faire place à la résilience. Malgré notre peine incommensurable, il nous faudra continuer sans eux et par respect pour ceux-ci, savourer la chance que la vie nous accorde d’être encore là. Ça peut paraître déraisonnable, mais c’est comme si la mort des autres devait nécessairement nous rendre encore plus vivants.

Bien sûr, on sait tous qu’un jour ce sera aussi notre tour, et on espère pouvoir repousser ce moment le plus longtemps possible. Toutes ces mains tendues et tenues au fil des années nous apprennent que les vraies valeurs sont celles du coeur et qu’après tout, qu’on arrive sur cette terre ou qu’on la quitte, la seule chose qui compte vraiment, l’essentiel, c’est d’être bien entouré pour que le passage à l’entrée comme à la sortie se fasse dans les meilleures conditions.

Même si notre vertige semble insurmontable face à un être dont les jours sont comptés, il n’est en rien comparable à celui de ceux et celles qui espèrent notre visite pour mieux partir. Dans ces moments, il ne se passe rien que nous n’ayons déjà vécu, parce qu’ensemble, on rit, on pleure, on apprécie et respecte les longs silences, les regards sont bienveillants, l’amour est palpable, on apprivoise l’inconnu, on réalise tout le chemin parcouru et surtout la chance qu’on aura eue de s’être connu.

À vous tous qui m’avez offert votre dernier souffle, merci infiniment. Grâce à vos mains tendues et vos départs involontaires, je savoure, j’aime et j’apprécie grandement cette vie qu’est la mienne, car vous m’aurez permis de bien en mesurer la valeur.

PLACE PUBLIQUE

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2022-10-01T07:00:00.0000000Z

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