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CHRYSTINE BROUILLET ET LA HAINE ENVERS LES FEMMES

LÉA HARVEY lharvey@lesoleil.com

Les romans de Chrystine Brouillet s’ancrent depuis toujours dans l’actualité… et l’écrivaine n’a pas manqué d’inspiration dans les deux dernières années. De retour avec son 20e roman mettant en vedette l’enquêtrice Maud Graham, Une de moins, la romancière prolifique plonge ses personnages au plus fort de la pandémie et rappelle tous les féminicides qui sont survenus dans les derniers mois.

Alors que bien des gens cherchaient à oublier la COVID-19 et que bon nombre d’artistes avaient du mal à trouver l’inspiration pour créer leurs oeuvres, Chrystine Brouillet, elle, prenait en note tous les détails du quotidien.

«Je ne pouvais pas rédiger un Maud Graham qui se passait durant la pandémie sans savoir comment ce chaos allait se terminer. On était dans la sidération», souligne Chrystine Brouillet, en entrevue au Soleil.

Dès le début de la pandémie, l’écrivaine s’est donc mise à inscrire dans un journal ce qui se passait autour d’elle. Au-delà des grandes dates marquantes, elle a surtout eu envie de consigner le comportement des gens, les effets du confinement sur les relations humaines, le télétravail qui a mis à mal les centres-villes, l’arrivée des masques et des plexiglas, etc.

Mais un constat l’a happée très rapidement : la vague de féminicides. Les noms des victimes se sont d’ailleurs accumulés dans ses carnets avant d’être listés au fil des pages de son nouveau roman.

«J’ai déjà écrit sur la violence conjugale. Naïvement, je pensais que les choses allaient s’améliorer, mais la pandémie nous a montré tout le contraire.

«[…] Ça fait froid dans le dos parce que, au moment où je rédigeais le roman, j’étais rattrapée par la réalité. J’écrivais des scènes fictives et, lorsque j’ouvrais la télé le soir, il y avait eu un autre féminicide», souffle l’autrice, au bout du fil.

Si plusieurs auteurs ont affirmé qu’ils préféraient ne pas faire de connotation à la pandémie dans leurs oeuvres, l’écrivaine originaire de Québec a quant à elle décidé de sauter à pieds joints dans le sujet. Mais pas de façon gratuite.

Dans son plus récent ouvrage, la COVID-19 n’agit donc pas à titre de décor : elle est liée de près à l’intrigue du roman. Maud Graham affirmera ainsi dès le début de l’histoire que le confinement sera un enfer au quotidien pour les victimes qui vivent avec leur tortionnaire. La policière sera bouleversée devant le nombre de crimes qui s’accumulent.

«Maud Graham est au premier plan pour constater la violence qui explose dans les foyers.

«Je trouvais également important de montrer que sa vie privée à elle était modifiée. Elle ne peut pas voir son amoureux aussi souvent qu’elle le veut, son fils, pas du tout. On est tous passés par là! Tout le monde était déstabilisé» rappelle Chrystine Brouillet.

Celle-ci soutient d’ailleurs d’emblée qu’elle n’est pas arrivée au bout du sujet avec Une de moins : «Dans les prochains Graham, je vais être obligée de parler des conséquences de la pandémie.

«Avec l’économie en chute libre, les femmes n’auront pas les moyens de quitter leur bourreau, de louer un appartement», ajoute-t-elle.

Avec Une de moins, la romancière ne s’intéresse toutefois pas seulement qu’aux victimes de violence conjugale.

Elle brosse un portrait beaucoup plus vaste de la haine contre les femmes, dont celle qui naît sournoisement au détour d’un écran d’ordinateur, qui s’envenime et qui infecte par la suite la société. Du commentaire disgracieux aux menaces de mort, puis au meurtre.

«Il y a des personnes qui, parce qu’elles sont anonymes, pensent qu’elles ont le droit de tout dire, de tout écrire… Les réseaux sociaux ont permis des choses intéressantes comme le mouvement #metoo, mais c’est aussi un outil qui permet des dérives insensées», affirme Chrystine Brouillet, qui préfère quant à elle se tenir le plus loin possible de ceux-ci.

ÉVOLUER AU FIL DES PAGES

Chrystine Brouillet célèbre cette année ses 40 ans de carrière. Malgré son expérience et ses connaissances acquises au fil des ans, l’écrivaine a encore une fois réalisé plusieurs recherches pour créer Une de moins.

Elle s’est ainsi entourée de ses fidèles «complices» pour cueillir des informations sur les enquêteurs, les crimes et les assassins.

Loin de s’asseoir sur ses lauriers, la sexagénaire souhaite plutôt se tenir à jour sur ce milieu qui l’inspire. Car, depuis la toute première enquête de Maud Graham (Le poisson dans l’eau, 1987), les choses ont bien changé.

«La technologie m’ennuie considérablement, mais je ne peux pas en faire fi, par exemple.

«Le travail des policiers est aussi beaucoup plus autour de la maladie mentale. […] Ça fait partie de leur quotidien maintenant.

«Leur attitude envers les victimes de violence conjugale s’est également améliorée», constate-t-elle, rappelant que les auteurs de polar sont ainsi de grands témoins de leur époque.

Sans offrir un meilleur portrait que d’autres genres littéraires, le roman policier met cependant de l’avant la violence, qui est «l’un des visages de la société», note-t-elle.

Ancrée à Québec, dans ses rues et commerces, sa série Maud Graham dessine ainsi une sorte de tableau de la capitale depuis les 30 dernières années. S’il est impossible de déraciner sa célèbre protagoniste, Chrystine Brouillet affirme avoir toujours beaucoup de plaisir à décrire sa ville natale, et ce, même si elle habite la métropole.

Une de moins sera sur les tablettes des librairies dès le 5 octobre. Chrystine Brouillet sera quant à elle de passage à Québec dans le cadre des Escales en librairie du festival Québec en toutes lettres.

LE MAG

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2022-10-01T07:00:00.0000000Z

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