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«IL FAUT QUE ÇA ARRÊTE»

AUDREY TREMBLAY

«À partir de là, tu ne peux plus avoir d’enfants, tu te fais chicaner par ton mari, tu te fais battre parce qu’il pense que tu as fait ça pour aller voir ailleurs… J’en ai mangé des volées pour ça.»

Clémence* aurait aimé avoir cinq enfants, mais elle n’en aura que deux. Stérilisée à son insu, cette femme autochtone avait 24 ans lorsque c’est arrivé. Plusieurs années auront été nécessaires avant qu’elle ne l’apprenne et qu’elle doive faire son deuil. Aline* elle, s’est sentie obligée de le faire dans les années 80 alors qu’elle avait six enfants. Les deux femmes ont accepté de raconter leur histoire à la suite des récentes révélations du rapport de recherche sur le consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées des femmes des Premières Nations et des Inuits.

«Il faut que ça arrête», insistent-elles. Clémence adore les enfants, elle se voyait avec cinq depuis toujours. C’est une fausse couche qui l’a amenée à l’hôpital cette journée-là au milieu des années 80. Sur place, on l’a informée qu’un curetage devait être réalisé.

«Ils m’ont fait signer des papiers, mais à cette époque-là, je ne savais pas vraiment lire et je ne maîtrisais pas très bien le français non plus, encore moins les termes médicaux. Ils m’ont dit : “Signe ici” et ils m’ont fait la ligature des trompes… coupées, brûlées […] Je n’ai pas donné mon consentement, je n’étais pas consciente de tout. Je voulais cinq enfants, mais je n’ai pas pu», raconte-t-elle avec émotion.

«Jamais dans ce temps-là qu’on avait un interprète. Pour eux, je parlais assez bien français. Ils ne te font pas vraiment lire, ils me disaient : “Signe là”. Tu fais confiance et tu signes. […] J’étais là pour un curetage», rappelle-t-elle.

Est-ce qu’elle en veut à ces genslà? La réponse est directe et franche. Oui. C’est en essayant d’avoir un autre enfant qu’elle a appris qu’elle avait été ligaturée. Un choc violent qui l’émeut encore aujourd’hui.

«Mes deux autres enfants avaient quatre ans de différence, je pensais que c’était une belle année [pour en avoir un autre]. Quand je suis retournée voir le médecin, je me demandais pourquoi je ne tombais pas enceinte», relate-t-elle.

«À partir de ce moment-là, je ne pouvais plus rien faire. Je n’ai pas pu avoir d’autres enfants. C’était un deuil à faire.»

«J’AI ÉTÉ VICTIME DE ÇA»

Aline a eu six enfants, elle s’est fait ligaturer dans les années 80. Elle a toujours souhaité avoir au moins deux filles et au moins deux garçons. Ce sera plutôt cinq filles et un seul garçon.

«À mon sixième enfant, le médecin m’a dit : “Est-ce que tu y as pensé?” Je ne comprenais pas très bien ce qu’il voulait dire. Il m’a dit : “As-tu pensé te faire ligaturer et à profiter de la vie?” Je n’ai pas réagi», témoigne-t-elle.

La femme atikamekw d’une soixantaine d’années a fini par accepter après avoir senti la pression et n’aura jamais les deux garçons souhaités.

«À certains moments, je l’ai regretté. Après la perte de mon défunt fils, je me disais que j’étais encore jeune et que j’aurais pu avoir d’autres enfants. […] J’ai été victime de ça. Je n’avais pas réalisé, mais aujourd’hui je réalise que oui», raconte-t-elle.

Les deux femmes ont été choquées et frustrées d’apprendre, avec la publication du premier rapport de recherche sur le consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées des femmes des Premières Nations et des Inuits, qu’il y avait eu des cas récemment.

«Ça n’a pas d’allure, qu’il y en ait encore aujourd’hui. Il faut que ça arrête», insiste Clémence.

«Je n’aurais jamais pensé qu’on pouvait faire une affaire de même encore», ajoute Aline.

Le rapport révèle qu’au moins 22 femmes autochtones ont subi une stérilisation forcée au Québec depuis 1980 et qu’un dernier cas remonte même à 2019.

Jamais Clémence n’a abordé le sujet avec ses enfants, elle en a parlé pour la première fois avec sa fille récemment. Son silence et ses larmes en disent long sur l’émotion que cela ravive.

«C’est passé, c’est passé. On pleure, on verse des larmes, mais on ne peut plus rien faire. La seule chose qu’on peut faire, c’est d’arrêter [ces pratiques]. Ça ne doit plus se produire», martèle l’Atikamekw.

Elle ajoute d’ailleurs que les filles, les femmes, les mamans, et même les hommes autochtones qui consultent «devraient avoir obligatoirement quelqu’un avec eux avant de signer quelque chose. Certaines ne savent pas lire ou ne connaissent pas les termes médicaux».

Clémence l’avoue, elle a eu des craintes après cet épisode malheureux. Elle n’a d’ailleurs jamais remis les pieds à l’hôpital de La Tuque.

*Clémence et Aline sont des prénoms fictifs afin de protéger l’identité des deux femmes.

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2022-12-03T08:00:00.0000000Z

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