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Francis O’Shaughnessy L’ALCHIMIE DES ENCHANTEMENTS

JOSIANNE DESLOGES Collaboration spéciale

Photographe, performeur, bricoleur et commissaire, Francis O’Shaughnessy a l’esprit d’un inventeur du XVIIIe siècle. Celui dont le doctorat portait sur le renouvellement de la lettre d’amour par l’art performance présente ses photographies mystérieuses au Lieu.

Si certains sont attirés par les images de destruction et de violence, l’artiste, lui, a décidé de cultiver sa fascination pour les sentiments agréables et d’assumer ses élans romantiques.

Son exposition Une infinité de vies heureuses illumine de belle manière la période la plus sombre de l’année.

Né à Lévis, Francis O’Shaughnessy a appris les rudiments de la photographie argentique à l’Université Laval avant de se concentrer sur la performance et l’installation, à l’UQAC. Dans ses clichés où la figure humaine est souvent au centre de l’image, l’aspect performatif est bien présent.

Il y a une dizaine d’années, l’occasion de faire des photographies dans deux mines d’argent françaises, une creusée à la dynamite et l’autre à la main par les Romains, éveille son intérêt pour les contextes de prises de vue atypiques et les défis techniques.

Le travail du Français Mathieu Stern, qui travaille avec des lentilles d’appareils argentiques sur des caméras numériques, le stimule. Il part à la chasse sur eBay.

«J’achetais des lentilles pour leur qualité de flou et non pas de netteté. Je cherchais une sorte d’image tourbillonnante, avec des déformations», explique-t-il.

Il se met à scier des lentilles de projecteur, à retourner les verres. «Ça tenait avec du tape, ça bougeait d’un millimètre et ça ne fonctionnait plus. J’ai joué comme ça pendant quelques années.»

Cette recherche de l’enchantement, qui surgit à un moment inattendu, fruit d’un enchaînement de hasards mécaniques, optiques, voire atmosphériques, caractérise toute sa démarche photographique.

Il explore les sténopés et la solargraphie avant de découvrir, grâce au Slovène Borut Peterlin et à l’Américaine Sally Mann, la technique du collodion humide, qui date de 1851.

Sous l’égide de Marcelo Troche, un expert qui réside à Montréal, il se met à manier les béchers, les chimies à l’éther et au sel d’argent, les appareils à soufflet, les lampes et les plaques de verre et de métal.

Il ne nie pas que le danger qui vient avec la manipulation de toutes les substances létales exerce sur lui un certain attrait, même s’il prend soin de se munir de gants, de masque et de lunettes de protection.

«Le collodion change beaucoup selon la température, le taux d’humidité. Il y a toujours des éléments impossibles à prévoir. Ça peut être complètement raté, ou susciter l’émerveillement. Moi, je cherche les moments d’émerveillement.»

Pour preuve, une photographie d’une de ses nièces, juchée sur un grand escabeau dans une futaie d’arbres, près du chalet du photographe. Alors que les feuilles se noient dans un effet de tourbillon flou, l’image nette de la jeune fille est saisissante.

PHOTOGRAPHIE CONFINÉE

À l’aube de la pandémie, il est prêt à faire ses premières séances avec modèles, mais les confinements successifs tuent son élan.

«J’ai eu l’idée de mettre une caméra à soufflet devant un écran d’ordinateur et de revisiter des photos de mes productions antérieures, prises entre 2007 et 2015, quand je travaillais principalement avec un appareil numérique», raconte l’artiste.

Il photographie des fragments de ses photos, puis tente de les reconstituer en conservant la même luminosité dans chacune des parties.

Un laborieux exercice de patience et d’essai-erreur, dont on trouve quelques exemples dans l’exposition présentée au Lieu. Grâce à une de ces plaques, il remporte la 2e place du Luxembourg Art Prize 2021.

La crise sanitaire lui inspire une autre idée : collecter les grimaces prises par ses contemporains avec

leur téléphone ou leur ordinateur. «Pour moi la grimace était la seule liberté qui nous restait, note-t-il. On grimaçait à chaque nouvelle mesure sanitaire.»

Il recadre les images pour couper les frontières des visages. En coulant le collodion sur la plaque photographique, le liquide en déforme les bords et donne aux sujets des aspects horribles et inquiétants.

Devant ces photographies récentes, on a l’impression de se trouver devant les monstres de foire d’une lointaine époque. «Un certain charme opère lorsqu’on travaille avec des techniques qui datent de plus d’un siècle pour traiter des sujets d’aujourd’hui, expose l’artiste. À l’époque, ces bordures expérimentales étaient cachées derrière des cadres ou des passe-partout, mais moi je les rends visibles, je laisse des traces de doigts, les chimies qui ont coulé, tous les trucs non conventionnels.»

INFRAROUGE ROMANTIQUE

Au Lieu, dans les grandes fenêtres qui donnent sur la rue du Pont, l’oeil des passants est happé par des images de grand format, teintées de rose foncé. Ces visions magnifiques ont été faites à l’infrarouge, grâce à une application développée par Mathieu Stern qui exige de modifier, mécaniquement, son appareil-photo numérique.

«Ça peut transformer les couleurs en rose, en blanc en rouge. J’aimais bien le rose et le rouge», souligne O’Shaughnessy, qui a pris ces photographies de cimes d’arbres et de portraits bordés de verdure en France cet été.

Un avant-goût, fort réussi, d’une nouvelle production qu’il amorce.

À voir jusqu’au 7 janvier, du jeudi au dimanche, de 12h à 17h, au 345, rue du Pont, Québec. Info : inter-lelieu.org et francisoshaughnessy.com

LE MAG

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2022-12-03T08:00:00.0000000Z

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