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LES ANIMAUX DÉBARQUENT VILLE EN

Des loutres à Singapour, des sangliers à Rome, des renards en plein coeur de Londres : les animaux «sauvages» s’aventurent de plus en plus dans les villes. Portrait d’une tendance mondiale.

JEAN-SIMON GAGNÉ jsgagne@lesoleil.com

Des sangliers à Rome. Des lapins à Paris. Des singes à New Delhi. Des loutres à Singapour. Les animaux «sauvages» arrivent en ville. On les retrouve un peu partout. Les humains sont un peu dépassés. Portrait d’une tendance mondiale. 1er de 2

Vous voulez apercevoir des renards? Rendez-vous à Londres, la capitale anglaise. On y retrouve sans doute la plus grande densité de renards au monde! Vous avez bien lu. Selon la London Wildlife Trust, on en dénombre au moins 10 000.1 Six par km2. Dix fois plus qu’en milieu naturel.2

À Londres, on a vu l’animal jusque dans la grandiose cathédrale Saint-Paul. Il devient banal de le croiser sur le perron du 10, Downing Street, la résidence et le lieu de travail du premier ministre. En octobre, «Larry the cat», le chasseur de souris «officiel», a été filmé en train de pourchasser un spécimen deux fois plus gros que lui.

Londres, capitale mondiale du... renard?3 On part de loin. Avant la Seconde Guerre mondiale, les farceurs disaient que les renards y étaient aussi rares que les bons restaurants. Et puis, la ville s’est mise à gruger la campagne. Les bâtiments avec des petits jardins se sont multipliés. Un véritable paradis.

Petit à petit, les animaux se sont risqués jusqu’au centre, attirés par les parcs, les mulots et... les poubelles bien garnies. En l’absence de prédateurs, la vie est belle. Mais gare à la circulation. Chaque année, on estime que 60 % des renards londoniens finissent sous les roues d’un véhicule.

Réflexion faite, il s’agit peut-être d’une chance? Autrement, la ville nagerait dans les renards jusqu’au cou…

L’ENNEMI PUBLIC NUMÉRO 1

Un peu partout, les animaux ont profité des périodes de confinement pour s’aventurer dans les villes. À Tokyo, des cerfs broutaient autour des stations de métro. En Israël, des chacals se chamaillaient au coeur de Tel-Aviv. À Oakland, en Californie, des dindons sauvages s’installaient dans les terrains de jeu.4

Reste que la pandémie n’explique pas tout. En Europe, il y a longtemps que les sangliers s’invitent en ville. À Rome, l’animal prend ses aises. Les plus effrontés se baignent dans les fontaines. Une femelle a décidé d’allaiter ses petits devant le ministère des Affaires étrangères. Un gros mâle a mordu un promeneur près du Vatican.5

L’automne dernier, après plusieurs incidents spectaculaires, la mairie a déclaré la guerre. La chasse au sanglier était désormais autorisée dans les rues! Mais la mesure n’a pas fait l’unanimité. L’opposition a dénoncé une manoeuvre politique. Elle a rappelé que les animaux profitent d’abord de la gestion catastrophique des ordures dans la Ville éternelle.

À hauteur de sanglier, chaque monticule de déchets constitue un libre-service!

«Les sangliers sont comme les humains. Ils sont futés, ils sont sociables et ils mangent de tout», a résumé un célèbre biologiste au Washington Post.6 Il aurait pu ajouter qu’ils suscitent un mélange de peur et d’amusement. À Berlin, on rigole encore des images d’un nudiste pourchassant un sanglier qui lui avait volé son sac, dans un parc de la ville!7

L’ENNEMI PUBLIC (SUITE)

En 2021, deux sangliers de Barcelone sont devenus célèbres en attaquant la chanteuse Shakira, alors qu’elle marchait dans un parc. Les deux scélérats lui ont volé son sac, avant de le piétiner.8 Le genre d’incident qui devient fréquent. Quasiment banal.

Les sangliers se sont habitués au monde des humains. À Barcelone, ils démantibulent tous les formats de poubelles. On raconte qu’ils ont appris à traverser les rues au passage piéton! Pour limiter les dégâts, la municipalité paye une escouade de vétérinaires qui les capturent au filet, avant de leur injecter un poison mortel.9

À Hong Kong, de l’autre côté de la planète, les sangliers font aussi les manchettes. Ils utilisent parfois les escaliers roulants pour accéder aux galeries commerciales. On s’amuse de les voir déraper sur les planchers de marbre luisant, comme Bambi sur son lac gelé.

En juin 2021, les médias ont suivi les déambulations d’un marcassin qui avait pris le métro. Le jeune surdoué avait même réussi à changer de ligne! Il a été capturé alors qu’il se reposait, épuisé, sur des sièges réservés aux personnes à mobilité réduite.10

TOUCHE PAS À MON LAPIN!

La présence d’animaux divise les humains des villes. À Paris,

le sujet est devenu plus sensible qu’une peau de lait exposée durant des heures à un soleil de plomb. Même l’élimination des rats soulève les passions. Une pétition intitulée «Stoppons le génocide des rats» a recueilli 26 000 signatures.11 Une conseillère municipale suggère même de bannir le mot «rat». Elle propose «surmulot», qui serait moins «négatif».12

D’accord. Les rats constituent de l’histoire ancienne. Parlons plutôt des lapins qui ont élu domicile sur l’esplanade des Invalides, un espace vert situé entre la tour Eiffel et le Musée du Louvre. Sachant qu’une lapine peut avoir six portées par an, vous comprendrez que la situation menace d’échapper à tout contrôle. L’été dernier, on dénombrait plus de crottes que de brins d’herbe!13

Les lapins mangent tout. Les fils électriques. Les boyaux d’arrosage. Au début, la ville embauchait des «trappeurs». Ceux-là capturaient les animaux avec des filets, pour les «relocaliser» en périphérie.

Ça n’a pas duré. Une partie de la population a pris la défense des lapins. La bureaucratie s’en est mêlée. Pour disposer des petites bêtes, il fallait trois autorisations. Une pour les capturer. Une pour les transporter. Une pour les relâcher.

À la fin, la justice a tranché. Aux dernières nouvelles, les lapins étaient devenus intouchables.14

LES LOUTRES DE SINGAPOUR

Aujourd’hui, 56 % de la population mondiale habite en ville.15 Si la tendance se maintient, le pourcentage atteindra 70 % en 2050. Chaque année, 65 millions de personnes s’y ajoutent. Pour loger tous ces gens, il faut construire l’équivalent de huit fois la ville de New York. Tous les 12 mois!16

Les villes s’étendent. Des habitats naturels disparaissent. Au Kenya, la population de Nairobi a doublé en l’espace de 20 ans. La métropole de cinq millions d’habitants encercle quasiment le célèbre Parc national de Nairobi, où l’on trouve des girafes, des lions et des rhinocéros.17 Au milieu du parc, en regardant vers le nord, on aperçoit Kibera, l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique, enveloppée sous sa cloche de pollution grise…

Est-ce la ville qui envahit la nature ou la nature qui envahit la ville? Parfois, on ne sait plus. Au Sri Lanka, les éléphants «sauvages» ont pris l’habitude de recevoir de la nourriture des humains. Le long des routes qui mènent à Colombo, la capitale, certains mendient de la nourriture aux automobilistes.18

À Singapour, ce sont des loutres qui prolifèrent. Elles ont compris qu’il est plus facile d’obtenir de la nourriture des humains que de pourchasser les poissons au fond de l’océan. L’an dernier, les loutres ont attaqué un touriste dans le Jardin botanique. Elles l’ont jeté par terre et elles l’ont mordu 26 fois.19

Des loutres terroristes, il ne manquait plus que ça!

LE MACAQUE AIME LA FIBRE OPTIQUE

«Durant des décennies, la plupart des biologistes ont évité les régions urbaines et les animaux qui les habitaient, écrit l’auteur Peter S. Alagona, dans son livre The Accidental Ecosystem.20 Ils préféraient se concentrer sur des espèces plus rares […] dans des endroits plus isolés. Les gens qui étudiaient la faune considéraient souvent les villes comme des habitats artificiels et plutôt ennuyeux.»

«Avec le temps, les choses ont changé», constate M. Alagona. Les villes n’ont pas été conçues pour les animaux, mais cela n’empêche pas plusieurs espèces de s’y acclimater. En Inde, la ville de New Delhi en fournit un exemple spectaculaire. Année après année, la ville s’étend sur l’habitat des macaques. Ces derniers ripostent en «colonisant» le quartier des ministères, en plein centre-ville.21

Les macaques volent de la nourriture. Ils jettent des documents par les fenêtres. Ils se saoulent après avoir dérobé des bouteilles de whisky. Pour couronner le tout, ils ont pris la manie de mâchouiller les câbles de fibre optique. Un pur délice de singe, paraît-il.22

Au début, les autorités expédiaient les macaques dans des refuges. Mais les refuges sont vite devenus surpeuplés. Après, on a entrepris une campagne de stérilisation. Sans trop de succès. Même chose pour les clôtures électriques et les pétards. Les singes ont vite compris le stratagème.

Par la suite, les autorités ont eu l’idée de faire appel à des singes plus gros, les langurs, pour effrayer les macaques. Hélas, le «miracle» n’a pas duré. Les amis des animaux ont protesté. La méthode a été abandonnée. En désespoir de cause, le Parlement a embauché une quarantaine «d’acteurs humains» qui imitent le cri du langur.23

Pour l’instant, les résultats sont mitigés. Pire, des fonctionnaires ont l’impression que les macaques observent les «acteurs-singes» avec une lueur de pitié dans le regard...

UN COYOTE À CENTRAL PARK

En ville, l’apparition de nouvelles espèces peut constituer le symptôme d’un problème plus vaste. Une mauvaise gestion des déchets, par exemple. Mais elle peut aussi constituer un signe positif. Parfois, les animaux sont attirés par les espaces verts et par la diminution de la pollution.

Mine de rien, la ville de New York compte désormais 316 km² d’espaces verts, soit une fois et demie la superficie de l’île d’Orléans. Plusieurs espèces en profitent.24 En périphérie, le castor est de retour, après 200 ans d’absence. On a même aperçu un coyote à Central Park!

Jusqu’en 1986, la ville déversait chaque jour 568 millions de litres d’eaux usées dans la nature. L’équivalent de 152 piscines olympiques.25 Le fond du port était tapissé par plus de 3,5 m d’excréments humains.

Aujourd’hui, la qualité des eaux s’est grandement améliorée. On aperçoit des phoques et des tortues dans le port. On a même filmé des dauphins qui nageaient dans la rivière Bronx, en plein coeur de Manhattan.26

Pas si mal pour un endroit où vous aviez autant de chance de croiser un poisson vivant que d’apercevoir Mère Teresa dans un congrès des Hell’s Angels...

ÉPILOGUE

Le mot de la fin appartient aux fonctionnaires indiens, qui se moquent des tentatives de leur gouvernement pour se débarrasser des macaques, au centre de New Delhi.

Un jour, le gouvernement indien décide d’en finir avec les singes qui sèment la pagaille dans le quartier des ministères. Sachant que l’animal peut grimper très haut, il fait entourer le quartier d’un mur de cinq mètres de hauteur, couronné de barbelés. Puis, il fait capturer tous les animaux et il les relâche de l’autre côté du mur.

Le lendemain, à la surprise générale, les singes sont de retour. Imperturbable, le gouvernement décide de rehausser la clôture, qui atteint 20 mètres. Il expulse ensuite les singes. Rien n’y fait. Le matin suivant, les animaux sont revenus.

Le gouvernement fulmine. Il entreprend la construction d’un mur de 40 mètres.

Examinant l’immense chantier, un oiseau demande alors aux singes :

— Que devront-ils faire pour vous garder à l’extérieur?

Un singe plus âgé répond : «Ces imbéciles d’humains n’en finiront jamais. À moins que l’un d’eux pense à fermer le portail d’entrée à clé, le soir, avant de partir.»

La semaine prochaine, en deuxième partie, les animaux des villes au Québec

Notes

(1) Urban Foxes : Are they «Fantastic» or a Growing Menace, The Guardian, 15 octobre 2022. (2) Paramètres d’exposition chez les mammifères. Le Renard Roux, Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec, 2006.

(3) Why Are There So Many Foxes in London? Time Out (London), 10 décembre 2020.

(4) Emboldened Wild Animals Venture Into Locked-down Cities Worldwide,

The Guardian, 22 mars 2020.

(5) Italie : la chasse au sanglier est désormais permise dans les rues de Rome, Marianne, 27 décembre 2022.

(6) Wild Boars That Roam Rome Must Be Killed, Officials Say, The Washington Post, 17 juillet 2022.

(7) Un nudiste allemand poursuit un sanglier qui lui a volé son sac (...),

Le Parisien, 9 août 2020.

(8) Wild Boars Steal Shakira’s Bag and Phone in Barcelona, The Independent,

1er octobre 2021.

(9) «They Roam about Like Cats»: Spanish Cities Try to Halt Wild Boar Invasions, Reuters, 17 août 2022.

(10) À Hongkong, la chasse aux sangliers est ouverte, Le Monde, 6 janvier 2022. (11) Stoppons le génocide des rats, mesopinions.com.

(12) A Paris, ne dites plus «rat», mais «surmulot» (...), Le Parisien, 8 juillet 2022. (13) Le préfet de police abroge son arrêté classant les lapins comme nuisibles, Agence France-Presse, 13 avril 2022.

(14) Paris : les lapins des Invalides sont désormais intouchables, Le Parisien,

12 avril 2022.

(15) Développement urbain.

Vue d’ensemble. Banque mondiale, 6 octobre 2022. (16) The World in a Grain, Vince Beiser, Riverhead Books, 2018

(17) À Nairobi, le parc assiégé par la ville, Le Monde, 17 août 2022.

(18) Au Sri Lanka, les conflits entre l’homme et l’éléphant font rage,

Le Figaro, 12 novembre 2021.

(19) Slippery, Hungry, Sometimes Angry: Singapore with «Unparalleled» Otter Boom, The Guardian, 23 octobre 2022. (20) Peter S. Alagona, The Accidental Ecosystem, 2022, University of

California Press.

(21) Monkeys Run Amok in India’s Corridors of Power, Reuters,

11 décembre 2018.

(22) Monkeys «Hinder India Internet Drive», BBC News, 3 avril 2015.

(23) India’s Parliament is Hiring Men With A Gift to Scare Away Monkey, Quartz, 31 juillet 2014.

(24) Scientists Are Mapping New York

City Wildlife, State of the Planet, Columbia Climate School, 12 septembre 2022.

(25) Once an Open Sewer, New York Harbor Now Teems With Life, The New York Times, 30 décembre 2022.

(26) Dolphins Just Spotted in New York City’s Bronx River (…) , The Washington Post, 22 janvier 2023.

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