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Y A-T-IL TANT DE MÉTAUX LOURDS QUE ÇA DANS LE CHOCOLAT?

JEAN-FRANÇOIS CLICHE jfcliche@lesoleil.com

L’AFFIRMATION

«Une étude circule actuellement, disant que le chocolat noir, surtout celui à teneur élevée en cacao (70 % et plus), contiendrait des métaux lourds comme le cadmium et le plomb au point d’être nocif pour la santé. Consommer deux carrés de chocolat noir quotidiennement serait néfaste pour notre santé… Qu’en est-il réellement?» demande Suzanne Lafrance, de Québec.

LES FAITS

L’étude en question vient vraisemblablement du média Consumer Reports (CR)[http://bitly. ws/zHHK], généralement considéré comme très fiable. Paru en décembre, l’exercice a consisté à analyser 28 barres de chocolat noir en laboratoire pour voir s’ils contenaient (notamment) du cadmium ou du plomb — tous deux connus pour causer de graves problèmes de santé, même en petites quantités si on y est exposé chroniquement.

Résultats : manger 30 grammes (entre le tiers et la moitié de la barre) de ces produits suffirait à dépasser la dose maximale quotidienne pour le cadmium dans 8 cas sur 28, pour le plomb dans 10 cas et pour les deux dans cinq cas. Seulement cinq barres étaient décrites comme «sécuritaires» et ne faisant excéder la limite quotidienne ni pour le cadmium ni pour le plomb.

Ce n’est pas la première fois que ces deux métaux sont détectés sur le chocolat. Plusieurs travaux [http://bitly.ws/zHHH] en ont trouvé de petites quantités [http:// bitly.ws/zHHL] dans le passé.

Il semble que, du moins dans le cas du plomb, la contamination survient lors du transport et de la transformation. Une étude parue en 2005 dans Environmental Health Perspective

[http://bitly.ws/zHIX] n’a pratiquement pas trouvé de plomb dans les fèves de cacao elles-mêmes, mais beaucoup plus sur leurs coquilles et dans les produits finis.

À partir de là, il y a deux questions à se poser : est-ce que les concentrations mesurées par Consumer Reports sont comparables au reste de la littérature scientifique?; et si oui, comment expliquer l’interprétation particulièrement alarmiste que ce média en tire?

L’article ne donne pas les concentrations directement, mais on peut les estimer facilement à partir des informations qui s’y trouvent. Par exemple, le texte indique que pour les «pires» produits testés la consommation de 30 grammes ferait ingérer deux fois le seuil maximal retenu par CR pour le plomb, soit de 0,5 microgramme (μg). Les pires concentrations mesurées seraient donc d’environ 0,3 partie par million (ppm), ce qui est plutôt cohérent avec ce que l’on trouve ailleurs, par exemple en 2018 dans Food Additive and Contaminants [http://bitly.ws/zHJN], en 20112012 par Santé Canada [http:// bitly.ws/zHJQ] et dans un «commentaire» paru récemment dans le Journal of Agricultural and Food Chemistry [http://bitly.ws/zHJV].

On peut donc écarter les erreurs de lecture ou la possibilité que CR soit tombé sur des produits exceptionnellement contaminés.

Cependant, les «seuils sécuritaires» retenus par l’organisme, eux, sont une autre paire de manches. Pour le plomb, CR s’est basé sur le «maximum admissible pour la santé reproductrice» de l’Office californien d’évaluation du risque en santé environnementale, soit 0,5 μg par jour [http://bitly.ws/zHTZ]. Or c’est extrêmement bas — beaucoup plus que ce que la plupart des autres organismes sanitaires ou gouvernementaux proposent.

La Food and Drug Administration, par exemple, fixe la limite à 3 μg/j pour les enfants [http://bitly.ws/ zHKX] et 12,5 μg/j pour les adultes, et ces seuils ont été validés en fonction des concentrations de plomb jugées sécuritaires dans le sang [http://bitly.ws/zHL3]. L’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) a pour sa part proposé en 2010 de placer la barre à 0,5 μg par kilogramme de poids corporel et par jour pour les enfants, et 1,2 μg/kg p.c. pour les adultes. Dès qu’un enfant fait 6 kg (ce qui en fait plus un bébé qu’un enfant), cela donne l’équivalent du maximum américain de 3 μg/j.

Avec son maximum de 0,5 μg/j, CR a trouvé 15 barres sur 28 qui faisaient excéder la limite (pour 30 g). S’il avait plutôt utilisé le seuil — plus communément admis par les agences réglementaires — de 3 μg/j, ça aurait été… zéro sur 28.

C’est un peu la même chose qui se passe avec le cadmium, bien que dans une moindre mesure. Le maximum retenu par CR (soit 4,1 μg/j, qui vient lui aussi du même organisme californien) est très en dessous de la limite fixée par d’autres organisations, comme l’Organisation mondiale de la santé [http:// bitly.ws/zHMK] (environ 8,3 μg/j pour un enfant de 10 kg) et le ministère américain de l’Environnement [http://bitly.ws/zHMV] (10 μg/j pour un enfant de 10 kg).

Si on retient le seuil de 8 μg/j, alors il n’y a pas 13 barres sur 28 qui le font dépasser (toujours pour une portion de 30 g), mais une seule.

Pour donner une information complète, cependant, il faut aussi dire que la «norme» retenue par le magazine pour cadmium semble moins excentrique que pour le plomb, puisque l’Europe a adopté des seuils semblables [http://bitly.ws/zHNb] récemment — l’équivalent de 3,6 μg/j pour un enfant de 10 kg. On ne peut donc pas donner complètement tort à Consumer Reports sur ce point.

Cependant, ces valeurs-limites valent pour des expositions chroniques : c’est si on les dépasse de manière habituelle qu’il y a danger pour la santé, pas si on les dépasse une fois de temps en temps — comme la plupart des gens consomment leur chocolat.

Il faut aussi ajouter que le chocolat n’est clairement pas la source principale de métaux lourds dans notre alimentation. Pour le cadmium, l’EFSA note [http://bitly.ws/zHNb] que ce sont les aliments que l’on mange en grandes quantités qui en fournissent le plus gros. Pour le plomb, Santé Canada indique [http://bitly. ws/zHNT] que «les groupes d’aliments qui contribuent le plus [...] sont les boissons (qui comprennent la bière, le vin, le café, le thé et les boissons gazeuses), les aliments à base de céréales et les légumes».

C’est sans doute pour des raisons de ce type que, lorsque l’Agence canadienne d’inspection des aliments a analysé des chocolats en 2011-12 pour mesurer le plomb qui s’y trouvait, elle a conclu [http://bitly.ws/zHPi] — à partir de concentrations comparables, voire supérieures à celles de l’étude de Consumer Reports dans certains cas — qu’«il est peu probable que les concentrations de plomb détectées dans les échantillons de friandises, de chocolat et de poudre de cacao analysés dans le cadre de la présente étude posent une préoccupation inacceptable pour la santé».

LE VERDICT

Douteux. La présence de petites quantités de plomb et de cadmium dans le chocolat est connue depuis longtemps, et Consumer Reports en a trouvé des concentrations semblables à d’autres études du même type. Mais les seuils «sécuritaires» retenus par le magazine pour interpréter ses résultats étaient exceptionnellement faibles, ce qui a produit des conclusions alarmistes.

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