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MÉGANTIC, LES PLAIES QUI NE CICATRISENT JAMAIS

OLIVIER BOSSÉ obosse@lesoleil.com

François Jacques n’est pas encore prêt à revoir la catastrophe. Même si ça fait 10 ans. À vrai dire, il ne le sera jamais et la majorité des gens de Lac-Mégantic non plus, selon le député. «Parce que les plaies ne sont pas cicatrisées. Elles ne seront jamais cicatrisées.»

La télésérie Mégantic sort jeudi, sur Club Illico. Huit épisodes raconteront la pire tragédie ferroviaire en plus d’un siècle au Canada.

Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013, au centre-ville de Lac-Mégantic, municipalité de près de 6000 âmes de l’Estrie, un train transportant du pétrole brut a déraillé et explosé. Quarante-sept morts.

Neuf ans et sept mois plus tard, encore un 6, ce lundi, les producteurs tiendront un visionnement en primeur à la polyvalente Montignac de Lac-Mégantic.

Le député québécois de l’endroit n’y sera pas.

«Il n’y aura jamais de bon moment. Ça va toujours remuer quelque chose. Je pense que personne ne sera jamais prêt. Le plus dur, c’est de retomber dans le passé», a confié M. Jacques, au cours d’une entrevue émotive.

SAUVÉS PAR LE CANCER

Dans son bureau feutré du parlement de Québec, éclairé par la seule lumière naturelle de la fenêtre, le politicien prend un ton posé, doux, parfois même chuchoté.

Mais en dedans, ça bout. Ça bouge. Ça tiraille. Ça craque.

«Je ne sais pas encore si je vais la regarder», réfléchit-il à voix haute.

«J’ai pris quelque temps avant de regarder la bande-annonce. On reconnaît un peu les gens, c’est ça qui est difficile à voir. Parce que moi, j’étais là. Je l’ai vécu, le train, peut-être à 100 ou 200 pieds de moi», raconte M. Jacques.

En 2013, il dirige le salon funéraire familial et est lui-même thanatologue, embaumeur.

Sa conjointe est atteinte d’un cancer du cerveau. Chaque soir, elle doit ingurgiter une dose de médicament de chimiothérapie, du Temodal, à 23h.

Au lieu d’aller fêter l’anniversaire d’un copain au Musi-Café, en ville, ils restent donc à la maison, à Marston, de l’autre côté du lac.

LES STORES QUI FONDENT

Quand le ciel s’embrase, il fonce à Lac-Mégantic avec un ami. Celui-ci soupçonne une explosion à l’usine de panneaux de particules agglomérées où il travaille, comme à Pâques 2006.

«Je me demandais si ce n’était pas le centre sportif qui aurait pu sauter, quelque chose. Ou un jet qui venait de s’écraser… On ne le sait pas!» relate-t-il.

Arrivé sur place, il constate le désastre. Mais même à quelques mètres de distance, il n’en saisit pas l’ampleur.

«On voit le Lambrequin [une boutique de décoration] de l’autre côté de la voie ferrée, les fenêtres en flammes. Et on ne peut pas s’imaginer la tragédie qui se passe de l’autre côté [du feu]. Ce qui est en arrière, on ne le comprend pas. Et Serge me répète : François, viens-t’en! C’est dangereux! Viens-t’en, sors de là!»

À la fenêtre de l’immeuble voisin du salon funéraire, dont il est

aussi propriétaire, M. Jacques aperçoit le couple de locataires, Carmen et Marcel. «Ils regardent dans la fenêtre pendant que les stores commencent à fondre. On les a fait sortir par la fenêtre d’en arrière», a-t-il expliqué, presque aussi soulagé que sur le moment.

«Quand je vois les images du monde qui court, je l’ai en tête… J’ai un peu de frissons à en reparler… Je vois les images et je vois ce que ces gens-là nous ont raconté. On voit en images ce qu’ils ont vécu», résume l’élu, ému.

UNE NOUVELLE FAMILLE

La série se base sur 42 témoignages. François Jacques n’a pas été approché par la production. S’il l’avait été, il aurait refusé.

Le Centre funéraire Jacques et fils a procédé aux obsèques de 29 des 47 victimes. François Jacques s’est lui-même occupé d’une vingtaine. Il connaissait personnellement 43 des 47 personnes qui ont perdu la vie.

Sa blonde est décédée du cancer six mois plus tard, le 5 janvier 2014. Elle qui, avec la maladie, croyait partir avant ses amis. Nombreux l’auront finalement précédée de l’autre bord.

Plusieurs années après, lui est retombé amoureux. Avec une femme qui était enceinte lors de la catastrophe et dont le chum est mort dans l’explosion.

Elle a accouché le 10 juillet, quatre jours après le drame. L’enfant, qui n’a jamais connu son père, aura 10 ans cet été.

«On se comprend, de un. De deux, on peut faire des beaux projets ensemble. Avec une petite fille là-dedans qui est superbe, éveillée, intelligente», affirme M. Jacques, aussi papa d’un fiston aujourd’hui âgé de 25 ans.

Chacun vit le deuil à sa façon. Lui déléguera des gens de son équipe à la présentation de groupe. Il préfère regarder la série seul ou avec sa douce. Pour prendre le temps, pouvoir reculer ou arrêter.

LES TRAINS PASSENT ENCORE

Au même moment, un train chargé de matières dangereuses pourrait traverser le centre-ville de LacMégantic. La plus grosse cicatrice à effacer est là, selon le député de la Coalition avenir Québec (CAQ).

La «track» est toujours au même endroit, à peine décalée de quelques mètres par rapport à 2013.

Dès 2018, le gouvernement canadien s’engageait à construire une voie de contournement ferroviaire qui passe à l’extérieur de la ville et qui devait entrer en fonction en 2022.

Mais toujours rien.

«C’est très long», reconnaît l’élu provincial, qui a rencontré le ministre fédéral des Transports, il y a deux semaines, avec les maires, des sinistrés et des familles de victimes.

On parle dorénavant du début des travaux cet automne avec une livraison en 2026. «J’ai envie d’y croire», soutient M. Jacques.

Ottawa paiera 60 % de la facture attendue de 65 millions $, Québec l’autre 40 %.

REBÂTIR LA CAPITAINERIE

Avec 19 millions $ obtenus dans le recours collectif contre la Montreal, Maine and Atlantic Railway, le gouvernement de la CAQ donnera vie à des projets locaux.

Le plus important sera une participation dans la reconstruction du bâtiment de la capitainerie à la marina, démoli par contamination. Une nouvelle maison de répit familial et possiblement des terrains de pickleball verraient aussi le jour grâce à cet argent.

«Il faut se souvenir, insiste le député Jacques. Pour que les générations futures s’en souviennent, que les nouveaux résidents s’en souviennent, que les gens qui n’habitaient pas la région s’en souviennent. Et qu’ils comprennent ce que la population a vécu quand c’est arrivé.

«Parce qu’il y a eu la nuit, oui, mais il y a eu l’après. L’après, la reconstruction. L’après, les fermetures de commerces. L’après, les problèmes de santé mentale qui en découlent. L’effort de soutenir l’ensemble de la population, ce n’est pas une histoire d’une journée, c’est une histoire journalière qui doit perdurer», conclut-il.

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