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LE RIRE... POUR SURVIVRE AU PIRE

PAULE VERMOTDESROCHES pvermot@lenouvelliste.qc.ca

Daniel Gervais riait beaucoup. Pas mal tout le temps en fait. Ce policier de Trois-Rivières était reconnu pour son sens de l’humour, sa bonne humeur, et surtout sa capacité à se faire des amis partout où il allait. Daniel, c’était le symbole ultime du bon vivant. Or, le 26 janvier 2021, ses filles Myriam et Alexandra ont reçu l’appel que personne ne voudrait jamais recevoir : leur père venait de s’enlever la vie.

Cette semaine, un peu plus de deux ans après son départ, ce sont deux jeunes femmes résilientes qui sont venues s’asseoir avec moi. Deux soeurs qui ont traversé le pire, qui essaient de se reconstruire, qui savent qu’elles ne guériront probablement jamais de ce départ si subit et inattendu, mais qui apprennent au jour le jour à vivre avec l’absence. Deux soeurs qui se soutiennent l’une et l’autre pour ne jamais perdre l’équilibre. Deux jeunes femmes qui continuent de rire, mais un peu plus souvent avec les larmes aux yeux.

C’est par le rire qu’elles ont choisi de continuer de cheminer dans le deuil. Jeudi, le 9 février, elles organiseront un grand spectacle d’humour à Trois-Rivières, qui visera non seulement à parler de santé mentale, mais aussi à amasser des fonds pour l’organisme La Vigile, le seul organisme au Québec dédié expressément aux travailleurs des métiers de l’urgence.

Daniel Gervais avait trouvé sa vocation comme policier. Il a fait sa carrière à Trois-Rivières et avait pris sa retraite en 2019. À TroisRivières, il n’y avait pas grand monde qui ne le connaissait pas. «Dès qu’on sortait en ville avec lui, qu’on allait manger au restaurant, il se faisait tout le temps arrêter par quelqu’un. Tout le monde l’aimait, il avait cette capacité d’attirer le monde vers lui. Encore quand je pense à lui aujourd’hui, je n’ai que des souvenirs heureux, c’est juste du positif», confie Myriam.

Souvent, quand il entendait une nouvelle chanson à la radio qui le faisait triper, il appelait Alexandra. «Branche-toi, c’est vraiment bon, va écouter ça», lui lançait-il avant de raccrocher. Et combien de fois le père et ses deux filles ont été voir des spectacles d’humour ensemble! C’était la tradition.

PANDÉMIE ET TDAH

Que s’est-il donc passé dans la vie de ce jeune retraité pour que la vie n’apparaisse plus qu’en noir et blanc? Ses filles sont catégoriques : la pandémie a beaucoup joué sur son bien-être quotidien. Le fait d’être isolé, de ne plus pouvoir participer à ses activités, ses sports, d’aller voir ses amis, et même de ne plus pouvoir rendre visite à ses filles qui habitent la couronne nord de Montréal a eu un effet dévastateur. Ajouté à cela un diagnostic de TDAH reçu très tardivement, que cet homme fier et fort a reçu pratiquement comme un échec. Un cocktail explosif, mais qui n’avait pas donné d’indices clairs à ses proches. La veille de son départ, un bon ami lui avait téléphoné pour prendre de ses nouvelles. Daniel lui avait assuré que tout allait bien, qu’il n’avait pas les idées noires.

Le 26 janvier, Daniel a pris sa voiture et il a conduit. «Il se sentait toujours bien quand il conduisait, ça lui faisait du bien de faire de la route, ça le calmait», se souvient Alexandra. Daniel a quitté TroisRivières. Il a roulé un bon bout de

temps, s’est arrêté... puis a commis l’irréparable.

Chez ses anciens collègues, on croit que Daniel a volontairement quitté le territoire de la police de Trois-Rivières pour éviter que ce soit un de ses compagnons qui le retrouve. Le décès du Matricule 122 a été reçu comme un véritable tremblement de terre dans cette grande famille tissée serrée qu’est la police.

Pour ses filles, ça a été un cauchemar. «Je me souviens que la première semaine, je n’avais plus aucun repère. J’étais dans la douche, et je ne savais pas ce qu’il fallait que je fasse. C’était comme si mon cerveau ne fonctionnait plus, même pour des gestes du quotidien qu’on fait tout le temps», confie Alexandra. Myriam, pour sa part, a mis trois mois avant ne serait-ce que d’émerger d’une torpeur qui l’a clouée au lit pratiquement tous les jours. «J’avais du mal à m’habiller le matin, je ne faisais que pleurer et dormir», se souvient-elle.

Or, elles ont choisi de survivre. «Je ne pouvais pas passer ma vie en colère. Je ne voulais pas devenir cette personne aigrie par la vie. Après quelques mois, je suis allée débuter une thérapie dans des groupes de soutien pour endeuillés du suicide. Au départ, c’était loin d’être facile, mais après six semaines, quelque chose a changé. Je me suis mise à m’ouvrir. Le fait de parler, c’était libérateur», soutient Myriam.

Encore aujourd’hui, c’est en en parlant que les deux soeurs se rendent compte à quel point ça leur fait du bien... mais aussi à quel point le suicide touche tellement de monde. «C’est comme si on ne parlait pas de ça. Ce n’est pas écrit dans leur visage, mais dès qu’on s’ouvre, les gens viennent nous voir et nous disent ce qu’ils ont vécu. Pourtant, il ne faut tellement pas avoir honte. C’est tellement important de parler de santé mentale», considère Alexandra.

SPECTACLE D’HUMOUR

Après le décès de Daniel, la police de Trois-Rivières a invité les deux soeurs à recevoir l’hommage qui devait lui être rendu pour sa retraite, une cérémonie qui avait été repoussée en raison de la pandémie. Lorsqu’elles sont allées chercher cet honneur, un tonnerre d’applaudissements a retenti dans la salle.

«C’était tellement un bel honneur qu’ils nous ont fait, et on a été envahies d’une émotion encore jamais vécue. On sentait qu’on faisait partie de cette grande famille. Dans la voiture, en repartant, on se regardait et on se disait : il faut faire quelque chose», se souvient Alexandra.

L’idée du spectacle d’humour est venue naturellement. C’est par le rire qu’elles arrivent à tenir bon depuis le départ de Daniel, c’est aussi par le rire qu’elles pourront aider ceux qui restent à prendre soin de leur santé mentale.

Ainsi, ce jeudi 9 février à 20h, le théâtre du Cégep de Trois-Rivières accueillera le spectacle «Rire sa vie au max», initiative totalement bénévole des soeurs Gervais. Les billets, au coût de 59 $ — Daniel est décédé à 59 ans, les filles tenaient absolument à ce chiffre — permettront de voir les humoristes Yannick De Martino, Martin Perizzolo, Sylvain Larocque, Rachelle Élie et Pierre-Bruno Rivard, avec à l’animation l’humoriste JF Denommée.

Les profits, eux, seront versés à l’organisme La Vigile, établi à Québec et qui vient en aide aux femmes et aux hommes qui oeuvrent dans tous les métiers de l’urgence. Des travailleurs qui ont eu à faire face à davantage de détresse durant la pandémie, et qui ont eux aussi besoin qu’on prenne soin d’eux.

À ce jour, la réponse est vraiment bonne. Si bien des amis et collègues de Daniel ont répondu présents, l’entourage des deux soeurs en fait tout autant. Myriam, qui est courtière chez Re-Max dans la région de Terrebonne, a reçu l’appui de ses collègues. On attend même un autobus rempli de courtiers Re-Max qui viendront démontrer leur soutien à cette collègue, et bien sûr à la cause. Pour les quelques billets restants, il faut se les procurer sur lepointdevente.com.

Un premier spectacle d’humour qui, s’il connaît le succès qu’on espère, pourrait devenir une tradition annuelle pour ces deux soeurs, qui ont trouvé dans cette organisation du réconfort et une certaine forme de guérison. Une manière de transformer la douleur et le drame en quelque chose de constructif, de positif.

«Mon père, c’est mon héros. Tout ce que j’ai appris, je le lui dois. Ma plus grande peur, c’était de le perdre. Maintenant, nous aussi on doit continuer notre vie, apprendre à vivre avec son absence. En créant ce spectacle, c’est aussi une manière d’en parler, c’est ça le plus important», croit Alexandra.

D’un coup d’oeil vif, Myriam tourne son regard vers la fenêtre et regarde le ciel. «Tu vas être fier de tes filles, papa, tu vas voir ce qu’on est capables de faire.»

Billets : https://bit.ly/3wVKrzs

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