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4 ANS POUR 4 MINUTES DE PLUS PAR JOUR

MYLÈNE MOISAN mmoisan@lesoleil.com

Clouée à son fauteuil roulant, Marie-Xavier attend depuis plus de quatre ans qu’on comptabilise les quelque 55 minutes par deux semaines nécessaires pour recevoir ses médicaments et ses gouttes dans les yeux. Une demande qui se heurte à la lourdeur bureaucratique.

Marie-Xavier a 28 ans, s’intéresse à plein de choses, elle a de la jasette, fait du fauteuilski, de l’escalade adaptée. Mais elle ne peut pas se brosser les dents.

Marie-Xavier est née prématurément à 28 semaines, son corps en est resté très hypothéqué. «On a su dès le début à l’hôpital qu’elle avait des lésions au cerveau, qu’elle aurait des problèmes physiques et de mobilité», résume sa mère, Josée Tremblay. Clouée à son fauteuil roulant, MarieXavier a besoin d’aide pour tous ses besoins de base.

Et pour ça, elle et ses parents reçoivent du soutien à domicile, autour de 18 heures par semaine. «Les soins à domicile ont commencé il y a une vingtaine d’années. On avait cinq heures par semaine, ils ont augmenté au fil du temps» m’explique

Josée. Et avant, les services à domicile venaient tous du CLSC. «On n’a plus jamais personne qui vient du CLSC. Une partie des soins est fournie par une coopérative et l’autre par le chèque emploi-service», avec lequel les gens doivent embaucher eux-mêmes leur personnel.

Mais le soutien à domicile n’a pas seulement augmenté au fil des années, «c’est devenu plus compliqué». Et pas rien qu’un peu.

Un exemple, patent. En novembre 2018, une travailleuse sociale du CIUSSS (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux) de la Capitale-Nationale est venue réévaluer les besoins de Marie-Xavier. Elle a sorti sa grille de calcul, a enlevé les 30 minutes par deux semaines, deux minutes par jour, qui étaient allouées pour installer des orthèses dont MarieXavier n’avait plus besoin. Jusque-là, ça va.

Toujours en calculant savamment, la travailleuse sociale a réalisé qu’on n’avait pas alloué de temps pour donner les médicaments à MarieXavier ni pour lui mettre ses gouttes dans les yeux matin et soir. Elle a donc ajouté 55 minutes aux deux semaines, quatre minutes par jour, pour que ces soins — qui sont cordialement prodigués par ceux qui s’occupent de Marie-Xavier — soient désormais comptabilisés et payés.

Et là on se dit que c’est simple, qu’on n’a qu’à soustraire les 30 minutes des orthèses et à ajouter 25 minutes aux heures qui étaient déjà fournies.

Bingo.

Mais non, évidemment, ça aurait été beaucoup trop simple. Le CIUSSS a traité les deux «dossiers» séparément. «Les 30 minutes ont été enlevées tout de suite et, pour les 55 minutes de plus, il a fallu faire une demande. La première demande a été perdue, il a fallu en refaire une autre, puis on a attendu. J’ai rappelé en mai 2020 pour avoir des nouvelles, on m’a rappelée le 15 juin pour m’annoncer que la demande avait été approuvée par le comité.»

Vous avez bien lu, cet ajout de 55 minutes a été soumis à un comité. «On considère qu’il s’agit d’un nouveau besoin. On m’a dit qu’on attendait le budget, que ça faisait partie de l’aide domestique, que ce n’était pas dans le même budget. J’ai demandé à la travailleuse sociale : “vous trouvez ça logique que ça soit avec le ménage?”»

La logique doit être cachée quelque part avec la simplicité, ce «dossier» des 55 minutes de soins montre à quel point on s’enfarge dans les fleurs du tapis. Josée ne sait parfois plus où donner de la tête. «En scindant le calcul entre l’aide physique et l’aide domestique, en plus de tenir compte de qui donne le service, ça devient difficile de s’y retrouver et de comprendre le nombre d’heures qui est attribué pour chacun et les items qui s’y retrouvent.»

Le 11 novembre 2020, «on me confirme qu’on monte sur la liste d’attente avec un code de priorité élevé». L’été suivant, une nouvelle travailleuse sociale reprend le dossier. «Elle devait être permanente, elle devait venir tout réévaluer, mais on ne l’a jamais vue… elle est disparue!»

Rebelote, le dossier change de main encore, le nouveau travailleur social «plein de bonne volonté» n’arrive à rien lui non plus. Les mois passent, rien ne bouge. «Le 22 février [2023], on m’a dit qu’il n’y avait toujours pas de budget, qu’il faut refaire l’évaluation! On en est là, il nous reste à attendre, on nous dit que la prochaine évaluation sera en juin...»

Tout ça pour quatre minutes de soins par jour, calculés et demandés par le CIUSSS.

Selon des chiffres du ministère de la Santé, autour de 400 000 Québécois — dont 72 % ont plus de 65 ans — ont du soutien à domicile et doivent naviguer à travers cette bureaucratie. Et on calcule que, d’ici cinq ans, il y aura presque 600 000 personnes qui passeront le cap des 65 ans. «Les besoins sont immenses et ne feront que s’accroître avec le vieillissement de la population», avait confirmé Marguerite Blais, alors ministre des Aînés, en mai 2021.

Alors, quand Josée entend le ministre de la Santé Christian Dubé promettre un «virage» vers le maintien à domicile, elle est inquiète. «Tu ne peux pas envoyer une nouvelle clientèle dans un système qui ne marche pas!» Toujours selon les chiffres de son ministère, plus de 45 000 Québécois attendaient, en 2021-2022, pour des soins à domicile.

Parti comme ça, le virage va finir dans le mur.

Le soutien à domicile n’a pas seulement augmenté au fil des années, «c’est devenu plus compliqué». Et pas rien qu’un peu.

LA UNE

fr-ca

2023-03-25T07:00:00.0000000Z

2023-03-25T07:00:00.0000000Z

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