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SPORT ET GROS BILLETS POUR REDORER LE BLASON DE L’ARABIE SAOUDITE

JEAN-SIMON GAGNÉ jsgagne@lesoleil.com

Oubliez le pétrole, les exécutions en public et les imams qui voient le démon partout. L’Arabie saoudite du prince hériter Mohammed ben Salmane veut projeter une image jeune, moderne et futuriste. Avec le sport comme déodorant de prédilection. Voyage au pays du sportwashing.

L’Arabie saoudite, ce n’est pas exactement un symbole du peace and love. On y fouette encore certains prisonniers en public. Sans parler des condamnés exécutés d’un coup de sabre «miséricordieux». L’an dernier, le pays a mis à mort 144 personnes. De ce nombre, 90 n’avaient pas commis un crime violent.1

Bien sûr, le «Royaume» s’est décoincé. Depuis 2018, il permet aux femmes de conduire une automobile. Il autorise même l’ouverture de cinémas. Mais n’exagérons rien. En août, une étudiante a été condamnée à 34 ans de prison pour avoir relayé sur Twitter des informations critiques à l’endroit du gouvernement.2

De l’avis général, la monarchie saoudienne touche le fond en octobre 2018, avec l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Le malheureux est découpé en morceaux dans le consulat saoudien d’Istanbul, en Turquie. Un crime horrible, que les services de renseignements américains font remonter jusqu’au prince Mohammed ben Salmane lui-même.3

Sur place, des micros cachés ont capté les conversations entre les tueurs. «J’écoute souvent de la musique quand je découpe des cadavres, explique l’un d’eux. Parfois avec un café et un cigare à la main».4

LE SPORT LAVE TOUT

Après être tombée aussi bas, l’Arabie saoudite doit redorer son image. Vite. Une mauvaise blague résume l’ampleur du défi.

— Question : Pourquoi les visiteurs ne sont-ils jamais à l’heure, en Arabie saoudite?

— Réponse : Parce qu’ils ne savent pas comment faire reculer leur montre jusqu’au 7e siècle...

Rira bien qui rira le dernier. Grâce à l’argent du pétrole, l’Arabie saoudite a le bras long. Son Saudi Arabian Public Investment Fund, familièrement surnommé le PIF, gère 600 milliards $. Assez pour se payer une campagne de relation publique d’une ampleur jamais vue.5

Pourquoi se contenter d’investir dans des compagnies comme Boeing, Uber, Costco ou Disney?

On peut aussi faire pleuvoir de l’argent sur le merveilleux monde du sport. En multipliant à l’infini le nombre de ses amis.

Les sportifs ne jugent pas. Surtout lorsqu’on leur fait signer de juteux contrats. Prenez le golfeur Greg Norman. Depuis qu’il a reçu de l’argent des Saoudiens, Monsieur a le pardon aussi facile qu’un télévangéliste surpris les fesses à l’air dans un bordel.

Interrogé par des journalistes à propos du meurtre de Jamal Khashoggi, M. Norman a eu cette réponse plus sucrée qu’un dessert enseveli sous des tonnes de guimauve.

— Tout le monde commet des erreurs. Nous essayons tous d’en tirer des leçons afin de nous améliorer [...].»6

JAMAIS SANS MON SNOOKER

À partir de 2019, l’Arabie saoudite collectionne les événements sportifs. Boxe, moto, lutte, courses de chevaux. On perd le compte. La capitale, Riyad, devient même une étape du championnat mondial de… snooker. Ne souriez pas, mécréants que vous êtes. La portion saoudienne de l’événement distribue plus de quatre millions $.7

Un peu plus tard, la Formule 1 annonce la création d’un grand prix d’Arabie saoudite, à Djeddah, au bord de la Mer rouge. L’argent coule à flots. Le PIF payerait 60 millions $ par Grand Prix, sur une période de 15 ans. Il s’engage aussi à construire un circuit ultra-futuriste à Qiddiya, en plein désert.8

Reste que l’actualité dramatique du Moyen-Orient rattrape parfois le Royaume. Le 26 mars 2022, à l’ouverture du Grand Prix, la télévision montre une immense colonne de fumée qui s’élève à l’horizon. Un missile vient de frapper des installations pétrolières. Un rappel de la guerre implacable que mène l’Arabie saoudite contre les rebelles Houtis, dans le Yémen voisin.9

C’est la panique. On songe à reporter l’épreuve pour des raisons de sécurité. Puis, tout le monde se ravise. Le spectacle doit continuer. L’argent parle plus fort que la peur.

L’OR RANCE D’ARABIE

Depuis des années, l’Arabie jalousait le Qatar, son éternel rival, qui investissait à gogo dans le soccer. Maintenant, c’est elle qui s’offre l’élite du ballon rond. Dès 2019, le pays accueille les matchs des Supercoupes d’Italie et d’Espagne. Un peu comme si la série finale de la Coupe Stanley... était disputée à Riyad!

En octobre 2021, le PIF saoudien va plus loin. Il se paye le Newcastle United Football Club, une équipe du Premier League britannique. La transaction, évaluée à 415 millions $US, soulève la controverse. Elle est dénoncée par Amnistie internationale comme une pure opération de «blanchiment d’image».10

Au début, l’acquisition parait incertaine. On raconte que le prince Mohammed ben Salmane doit écrire un message personnel au premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson. Pour calmer le jeu, la Premier League promet que les Saoudiens ne contrôleront pas les opérations.11 Une vraie blague, puisque le nouveau pdg du club, Yasir alRumayyan, siège au conseil des ministres de l’Arabie saoudite!12

Ça ne fait rien. Les partisans de Newcastle accueillent les Saudiens en sauveurs. Le club n’a pas remporté de championnat majeur depuis 1955. Ils ont soif de victoires. Au diable les remords de conscience. Le sport lave tout. Pas moins de 97 % approuvent le changement de propriétaire. Un triomphe.13

LA «GUERRE CIVILE» DU GOLF

D’accord. L’argent ne triomphe pas toujours. Pas tout de suite.

Ainsi le lancement du nouveau circuit de golf professionnel LIV se révèle plus laborieux que prévu. Il est vrai qu’en Arabie saoudite, un pays désertique, le golf a longtemps tenu du miracle. À l’époque, les golfeurs trainaient un petit carré de gazon artificiel, sur lequel ils déposaient leur balle avant de la frapper!

À son arrivée, au printemps 2022, le circuit LIV (54 en chiffres romains) bouscule le monde du golf. Les Saoudiens dépensent sans compter. Ils offrent 550 millions $ en prime aux golfeurs qui laissent tomber le circuit de la PGA.

Assez pour «débaucher» quelques grands noms comme Phil Mickelson ou Dustin Johnson.

Le circuit LIV déborde d’arrogance.14 Selon ses dirigeants, il existe trois sortes de golfeurs professionnels. Ceux qui ont accepté l’argent des Saoudiens. Ceux qui songent à prendre l’argent des Saoudiens. Et ceux qui ne sont pas assez bons pour se faire offrir de l’argent par les Saoudiens.15

Un an et demi plus tard, LIV tarde pourtant à décoller. Malgré les deux milliards $ investis, il peine à attirer des golfeurs de prestige. La rumeur veut que Tiger Woods ait refusé une offre de 700 ou 800 millions $. Résultat? Les revenus provenant des droits télévisés ne sont pas aux rendez-vous.

Ça ne fait rien. Pour sa deuxième année, LIV pèse sur l’accélérateur. Les bourses passent de 150 à 400 millions $. Le nombre d’événements disputés à travers le monde augmente.16 Le projet saoudien est un véhicule équipé d’une transmission sur laquelle on a supprimé les positions «neutre» et «reculer»? Comprenez-vous?

LA FACE SUCRÉE DE L’ARABIE

Officiellement, le roi Salmane gouverne encore l’Arabie saoudite. Dans les faits, son fils, le prince Mohammed ben Salmane, alias MBS, tient les rênes du pouvoir. Les ambitions du fiston aux dents longues ne se limitent pas au sport. Elles s’inscrivent dans une grande stratégie futuriste d’avenir baptisée Vision 2030.

Le prince répète qu’il prépare l’après-pétrole. Un pays jeune, carburant à la haute technologie et au tourisme de luxe. Aujourd’hui, les deux tiers des Saoudiens sont âgés de moins de 35 ans.17 MBS fait le pari qu’ils accepteront de vivre dans une dictature. Surtout si on leur propose du divertissement à profusion et... surtout si on cesse de pourchasser les femmes pour la moindre broutille.

L’an dernier, le prince annonçait la construction d’une ville de 500 milliards $, contenue dans deux gratte-ciels de verre s’étendant sur 170 km. La vidéo de promotion ressemble à un film de science-fiction. On se laisse guider par une jeune fille qui flotte dans les airs. Jardin supendu. Chute d’eau. Jardin suspendu. Chute d’eau. Tout ça sur l’air de What a Wonderful World.18

Quelqu’un a-t-il parlé du ménage et de la vaisselle? Pfff. Toutes les tâches ennuyeuses sont accomplies par des robots, bien entendu.

Au passage, les critiques notent que le chantier paradisiaque n’a pas commencé. Ceux-là dénoncent déjà un autre projet mégalo de la monarchie saoudienne. À l’image de la «Jeddah Tower», qui devait s’imposer comme la plus haute tour du monde. Annoncé triomphalement en 2008, l’édifice de 167 étages n’a jamais été complété. Aux dernières nouvelles, la construction s’était arrêtée en 2018. Au tiers de la hauteur prévue.19

EN ATTENDANT MESSI

En attendant le futur, l’Arabie saoudite de MBS déborde d’idées. À court terme, elle travaille à une candidature pour la Coupe du monde de soccer de 2030, conjointement avec la Grèce et l’Égypte. À long terme, elle rêve aux Jeux olympiques de 2040.

Grâce au sport, tout semble possible. En décembre, le pays a obtenu l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver de 2029.20 Des jeux d’hiver? En plein désert? Vous avez bien lu. Pour y arriver, il est question de bâtir une station de ski dans les montagnes désertiques de Trojena.

Apparemment, on ne s’inquiète pas qu’il y tombe moins de 50 mm de pluie par année. Ou que la température descende à peine sous le point de congélation, même la nuit, en plein hiver…21

Mary Poppins disait qu’un morceau de sucre aide la médecine à couler. De la même manière, les relations publiques aident à faire avaler bien des couleuvres. Ça tombe bien, puisque l’Arabie saoudite peut se payer les meilleurs vendeurs.

L’an dernier, le pays a retenu les services du footballeur Lionel Messi comme ambassadeur du tourisme. Plus récemment, il a promis 400 $ millions $ à Cristiano Ronaldo. Une moitié pour porter les couleurs de l’équipe de soccer de Riyad. Un autre pour agir comme lobbyiste.22

En bon employé modèle, Cristiano Ronaldo chante déjà les louanges du mode de vie saoudien.23 Il répète à ses 530 millions d’abonnés sur Instagram qu’il faut montrer une autre «vision» de l’Arabie saoudite.24

Allez savoir. Comme dit un internaute, l’Arabie saoudite d’aujourd’hui est un pays où le prince hériter MBS construit des châteaux dans les nuages. Le monde fait semblant d’y croire. Et des gens comme Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi encaissent les chèques des loyers.

LA UNE

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2023-03-25T07:00:00.0000000Z

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