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TOUCHEZ PAS AUX ÉRABLIÈRES!

YVON LAPRADE CHRONIQUE

Des producteurs acéricoles qui n’apprécient guère de voir les forestières couper leurs érables dans la forêt publique. Des forestières qui affichent ouvertement leurs besoins commerciaux grandissants pour cette fibre recherchée, et qui ont l’impression de ne pas être assez bien «considérées» par le gouvernement Legault. Une ministre, Maïté Blanchette Vézina, députée de Rimouski, qui tarde à clarifier les «règles du jeu» en déposant son très attendu plan directeur sur le développement de l’acériculture en forêt publique.

Nous sommes au début de la saison des sucres. Normalement, les propriétaires de cabanes auraient de bonnes raisons de se réjouir. Les érables coulent, on casse des oeufs pour en faire des omelettes, on met la table pour accueillir les amateurs de jambon et d’oreilles de crisse.

Or, le temps n’est pas nécessairement aux réjouissances. Il y a plutôt une colère sourde chez les 13 300 acériculteurs québécois. Une colère qui monte, comme la sève au printemps.

Leur message se résume ainsi : les érables, c’est pour produire du sirop, point à la ligne.

«Ça fait six mois qu’on attend que la ministre [des Ressources naturelles et des Forêts] dépose son plan directeur. On nous dit que le plan est sur son bureau, mais il ne se passe rien», déplore Joël Vaudeville, directeur des communications au sein des Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ).

UNE URGENCE D’AGIR

Et pourquoi une telle urgence d’en connaître la teneur?

«Il y a des projets de démarrage et d’agrandissement d’érablières qui sont sur la glace», précise-t-il. Oui, mais encore?

C’est là que ça devient intéressant... et préoccupant.

«Il y a des coupes forestières qui nous incommodent et qui ne sont pas respectueuses du potentiel acéricole», laisse-t-il tomber.

Autrement dit, si on comprend son raisonnement, on coupe un peu trop d’érables dans la forêt publique. Ça se fait au nez des producteurs, qui sont en beau sirop...

«Ce qui fait en sorte qu’il y a de beaux hectares d’érablières qui auraient pu, dans cinq ou dix ans [et qui ne pourront pas] accueillir une relève acéricole», résume-t-il.

Le problème n’est pas nouveau. En avril 2021, Québec solidaire avait réclamé en vain un moratoire sur les coupes forestières commerciales dans les érablières «qui sont en activité et les secteurs à fort potentiel acéricole». À ce momentlà, Pierre Dufour était ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs.

CHAMPION MONDIAL

Avant de poursuivre, allons-y avec quelques statistiques, fort

révélatrices. Le Québec arrive au premier rang, avec 70 % de la production mondiale qui a atteint, en 2020, plus de 235 millions de livres. En 2022, la valeur des exportations internationales s’est élevée à 594,3 millions $.

Les plus gros acheteurs sont les États-Unis (62 %), l’Allemagne (10 %), la France (5 %), le Royaume-Uni (5 %), le Japon (4 %) et l’Australie (4 %).

Nos producteurs sont principalement actifs en Chaudière-Appalaches (49 %), en Estrie (13 %), au Centre-du-Québec (12 %), au BasSaint-Laurent (9 %) et en Montérégie (8 %).

On comprendra que le sirop d’érable, c’est une très grosse business, et les érables, une espèce à protéger. «Une fois coupé, ça prend 50 ans à repousser et à atteindre une bonne dimension», calcule le directeur de la fédération.

Vous avez bien lu : il faut compter cinq décennies avant de voir un érable entrer en production. D’où l’importance d’en prendre soin si on veut continuer à aller à la cabane à sucre, avec ses amis ou les membres de sa famille.

D’où l’importance, aussi, de clarifier les «règles du jeu».

Et alors, on fait quoi avec nos érables et nos érablières? On fait quoi avec nos producteurs et nos productrices qui demandent au gouvernement qu’on leur accorde un plus grand terrain de jeu — quelque chose comme 200 000 hectares supplémentaires — pour occuper un peu plus de territoire dans la forêt publique?

«Nous avons 52 millions d’entailles, au total, et ça se répartit comme suit : 20 % dans la forêt publique, 80 % dans la forêt privée. On veut que ce soit 30 % dans la forêt publique.»

ET POUR LA SUITE DES CHOSES

Il faudra voir comment le dossier politique va évoluer au cours des prochaines semaines.

«On pense qu’il y a une cohabitation possible avec les forestières, avec l’industrie», tempère Joël Vaudeville.

Et que disent les forestières à propos de cette cohabitation? Il a été impossible de parler au pdg du Conseil québécois de l’industrie forestière (CQIF), Jean-François Samray, retenu par une réunion du conseil d’administration.

C’est l’économiste du Conseil, Michel Vincent, qui est venu en renfort. Il ne s’est pas prononcé sur cet enjeu, qui ne fait pas partie de son champ de compétences, mais il a lui aussi exprimé une série de griefs à l’endroit du gouvernement Legault.

«Nous aimerions que le gouvernement considère notre industrie comme un joueur incontournable au sein de l’économie, a-t-il résumé. Très peu d’industries peuvent se vanter d’exporter pour plus de 10 milliards $.»

Et la forêt publique? Est-ce qu’on en prend soin comme il se doit?

«On sait comment récolter le bois, le transformer et faire pousser des arbres, on est des experts en la matière», fait-il valoir.

Fin de la citation.

Chose certaine, sur le terrain, la grogne prend de l’ampleur. Ils sont nombreux à critiquer le gouvernement à qui ils reprochent son inaction volontaire.

En termes clairs, on craint que Québec penche du bord de l’industrie forestière au détriment de la business du sirop «made in Québec».

Déjà, près de 300 municipalités dans une vingtaine de MRC ont exprimé leur appui aux producteurs. Il se dégage une forme de consensus qui dit que «l’érable ne doit pas être traité comme n’importe quel arbre [et qu’il] occupe une place particulière dans notre culture et notre économie».

Si la feuille d’érable est le symbole du Canada le plus connu, personne ne contestera le fait que le sirop d’érable symbolise le Québec.

AFFAIRES

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2023-03-25T07:00:00.0000000Z

2023-03-25T07:00:00.0000000Z

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