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N’ATTENDEZ SURTOUT RIEN DE MOI

Lynda Beaulieu Présidente du Diamant

Lynda Beaulieu est grandmère de trois enfants vivant avec différentes particularités. Dans une série de trois textes, elle prend la plume et se glisse dans leur peau afin de leur donner une voix pour mieux comprendre et accepter ces réalités qui changent notre regard sur la vie. Un constat lucide qui pointe vers l’espoir.

Bonjour, moi je m’appelle Gaby, j’ai eu cinq ans en décembre dernier. Je suis le frère de Florence, quatre ans, qui s’est adressée à vous tout récemment. Puisqu’elle vous a dévoilé que j’avais moi aussi un spectre de l’autisme, je tenais à apporter quelques précisions en ce qui me concerne.

Elle et moi avons des similitudes. Tout comme elle, j’ai marché sur la pointe des pieds, je ne supporte pas beaucoup les souliers et les bas, j’ai aussi un problème sévère de langage et j’ai été propre qu’à l’âge de quatre ans.

J’ai aussi refusé toute caresse de ma mamie durant trois ans et demi. Déjà bébé, je me raidissais dans ses bras lorsqu’elle me gardait et tentait de m’endormir. Un peu plus tard, sa présence seule déclenchait en moi une violence incontrôlable, je ressentais le besoin de frapper sur quelqu’un, de jeter les choses par terre, de mordre mes chiens et dans un geste de défi, je lui montrais la porte, et ce, jusqu’au jour où je suis entré chez elle. Dans un élan inexplicable, je me suis jeté dans ses bras, et depuis, nous avons rattrapé tout le temps, les bisous et les câlins perdus.

Aujourd’hui, je peux affirmer avec certitude que mamie est l’une de mes personnes préférées. Quand on y pense, elle a probablement été l’un de mes premiers tocs!

«UN ENFANT ATYPIQUE»

On dit de moi que je n’ai pas beaucoup d’écoute, je me demande parfois si ce n’est pas parce que je ne possède qu’une oreille depuis ma naissance, la droite? Bien que ce soit très avantageux lorsque je veux dormir profondément, c’est tout de même emmerdant pour l’écoute en stéréo. Lorsque plusieurs sons m’arrivent en même temps, comme la télé allumée, Florence qui joue à mes côtés, mon autre soeur qui chante au piano, papa qui fait des rénos et que maman me parle au même moment, je ne capte rien. Alors, on doit répéter souvent quand on me parle, mais je dois aussi admettre que je n’ai pas toujours beaucoup d’écoute et de focus.

Quand j’avais deux ans et demi, des spécialistes ont expliqué à ma mère et ma mamie que j’étais ce qu’on appelle un enfant atypique. Elles s’y attendaient bien évidemment, puisqu’on m’évaluait depuis un bon moment dû à des comportements incompatibles à ce qu’on appelle «la norme». «Est-ce qu’il est intelligent?» a demandé mamie à la suite du verdict qu’elle et maman ne souhaitaient jamais avoir à entendre.

«Oui, il est très intelligent, mais il ne faudra jamais avoir d’attentes, il évoluera à son rythme.» Maman et mamie, contenant leur peine et réfrénant leurs larmes, étaient dans le néant total, à quoi s’attendre pour l’avenir du petit Gaby?

Comme si ce n’était pas suffisant, on en rajoute avec un problème de dextérité et de motricité puisque je ne savais pas tenir un crayon convenablement, que je tombais très souvent et que je me cognais partout.

Autre chose, peut-être? Oui, que je n’aurais pas beaucoup d’empathie envers qui que ce soit, que ce serait mes besoins à moi que je chercherais à combler, que ceux des autres ne m’intéressaient probablement pas, que j’aurais assurément des compor- tements asociaux, que j’accusais un retard de développement et autres encouragements du genre. Cette rencontre mémorable s’est terminée avec quelques conseils d’usage et recommandations pour aider à mon évolution et mon développement.

Ouf, le retour à la maison a été lourd. Maman déboussolée et très triste tandis que moi, j’étais de très bonne humeur dans la même voiture avec une mamie qui hurle de douleur dans la sienne parce qu’elle ne pouvait le faire devant sa fille, qui elle, se devait d’être très forte pour la suite des choses.

Avant même d’entrer au centre de réadaptation, j’ai entendu mamie dire à maman : «tu sais, ma fille, qu’on ne va pas se faire dire ce que l’on veut entendre, mais peu importe ce qu’ils nous diront, sache que cet enfant-là t’a choisi pour être sa mère, parce qu’il savait qu’il n’y en aurait pas de meilleure pour l’accompagner dans sa vie.»

FINI L’INSÉCURITÉ

Dieu merci, ma mère qui a dû annoncer la nouvelle à papa et à ma grande soeur en entrant n’est pas du genre à s’écraser, après une nuit à pleurer, elle s’est mise immédiatement en mode solution et dès le jour suivant, les pictogrammes plastifiés étaient installés partout dans la maison. Wow! Je pouvais enfin me faire comprendre en images à défaut des mots. Si j’avais faim, j’allais dans les images de nourriture et je pointais du doigt ce que je désirais et maman m’apprenait le mot en me donnant l’aliment demandé.

Finis pour moi l’insécurité et les nombreuses frustrations, car maman me montrait ce dont ma journée serait faite en images.

Gaby se lève, Gaby déjeune, Gaby se brosse les dents, Gaby s’habille, Gaby dans l’auto rouge, Gaby à la garderie, Gaby dans l’auto rouge, Gaby maison, Gaby mange, Gaby, brosse les dents, Gaby dans le bain, Gaby pyjama et enfin Gaby dodo.

Je sais, ça a l’air fastidieux tout ça, oui, pour maman ça l’a été, mais pour moi c’était formidable! Avec cette méthode, pas de surprises, parce que contrairement aux autres enfants, je préfère de beaucoup la routine.

Depuis, j’ai vraiment bien cheminé, grâce à ma famille qui m’accompagne de façon rigoureuse et merveilleuse. Je vais maintenant dans une école formidable, l’École oraliste, où je côtoie des amis-es qui ont des différences eux aussi. Je suis en prématernelle, je commence à faire des phrases complètes, à écrire des lettres et des chiffres, je sais compter jusqu’à 20 et je fais même des calculs. Je connais mon alphabet, je le chante en fait. Dernièrement, maman est venue me chercher comme tous les jours à l’école et lorsque j’ai quitté, j’ai omis de saluer mon enseignante. Ma mère m’a dit : «dis bonjour et merci Gaby». Mon enseignante a dit : «c’est pas grave». J’étais plutôt d’accord avec elle, mais ma mère lui a répondu promptement : «non, c’est grave, ce n’est pas parce que mes enfants sont autistes qu’ils vont être impolis!».

J’aime ça quand maman me traite comme les autres enfants, ceux que l’on dit normaux!

Ce qui rend ma famille très heureuse, c’est qu’avec le temps, je démontre de plus en plus d’empathie et j’aime jouer avec les amis, je crois qu’on peut dire de moi que je suis en voie de devenir un enfant très sociable et autonome malgré le triste tableau que les spécialistes avaient brossé de moi lors de mon premier diagnostic, parce qu’il y en aura d’autres!

Ce que ma petite soeur Florence et moi partageons de plus précieux sur cette terre, c’est assurément notre mère! Je m’appelle Gaby et n’attendez rien de moi, je ne pourrai que vous surprendre!

PLACE PUBLIQUE

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2023-03-25T07:00:00.0000000Z

2023-03-25T07:00:00.0000000Z

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