LeSoleilSurMonOrdi.ca

LES BOURDONS À LA RESCOUSSE

GUILLAUME ROY Initiative de journalisme local groy@lequotidien.com

L’utilisation de bourdons est de plus en plus populaire dans les bleuetières pour la pollinisation, car plusieurs producteurs ont été déçus par les difficultés d’approvisionnement en abeilles au cours des dernières années.

Grâce à une production constante et prévisible, les producteurs se tournent vers cet insecte pollinisateur robuste, qui est en mesure de travailler malgré le vent et les basses températures. Depuis

2017, le nombre de boîtes de bourdons a d’ailleurs été multiplié par six alors que 15 000 d’entre elles devraient être vendues cette année.

En cette matinée fraîche, les producteurs de bleuets font la file pour récupérer des boîtes de bourdons à la ferme Lepage à La Doré, dont Marjolaine Simard, une productrice de cette localité jeannoise qui exploite 12 hectares (30 acres). «On a de la misère à avoir des abeilles, dit-elle. Tu peux commander des ruches, mais tu n’es jamais sûr de la quantité que tu vas recevoir. Tu peux même te ramasser avec plus rien pour polliniser. C’est pour ça que cette année, j’ai juste des bourdons.»

Depuis près de huit ans, elle avait des abeilles et des bourdons pour optimiser la pollinisation, mais elle testera cette année une pollinisation faite exclusivement avec les bourdons en provenance de deux distributeurs différents, pour voir si tous les bourdons sont aussi performants.

«Ça fait plus de 10 ans que j’utilise des bourdons», explique pour sa part Steve Potvin, un producteur de Saint-Thomas-Didyme qui exploite 101 hectares (250 acres) de bleuetières. Il se dit très satisfait de leur performance.

Alors qu’il est difficile pour les petits producteurs de louer des ruches d’abeilles, car les apiculteurs préfèrent livrer un certain volume, ces derniers ont plus facilement accès aux boîtes de bourdons. Ils peuvent en acheter, au même titre que n’importe quel producteur.

«Les clients viennent acheter des bourdons qui leur appartiennent, contrairement aux abeilles qui sont louées et qui appartiennent aux apiculteurs», explique Steeve Lepage, producteur de bleuet et distributeur de bourdons pour Biobest, une entreprise ontarienne. C’est auprès de lui qu’une centaine de producteurs s’approvisionnent en bourdons pour polliniser leur champ de bleuets.

Gilles Bouchard, qui exploite 3,2 hectares (8 acres), figue parmi les petits producteurs. «J’en ai pas grand et ça fait la job», souligne l’homme qui est venu acheter trois boîtes.

À certains égards, les bourdons commencent à remplacer les abeilles à plusieurs endroits. Les ventes sont donc en plein essor. En 2017, moins de 2000 boîtes de bourdons avaient été vendues, comparativement à 10 800 l’an dernier, fait remarquer Steeve Lepage. Selon ce dernier, les ventes devraient atteindre 15 000 boîtes, cette année.

Pendant ce temps, les apiculteurs peinent à placer toutes leurs ruches en location.

Cette situation s’explique en partie par la difficulté à obtenir des abeilles, l’année dernière, et par la hausse des coûts de location, qui atteignent 225 $ par ruche, cette année. Pour les bourdons, le prix est de 300 $ par boîte, laquelle contient quatre ruchettes.

«Les producteurs souhaitent réduire le risque en diversifiant les sources de pollinisateurs», souligne le directeur général du Syndicat des producteurs de bleuets du Québec (SPBQ), Gervais Laprise, pour expliquer la croissance des ventes de bourdons. Ce dernier a constaté une forte hausse de l’utilisation de bourdons, l’année dernière et cette année, pour réduire le risque et pour combler les besoins alors que le nombre de bleuetières à maturité est en pleine croissance.

LA RECHERCHE

POUR MIEUX CONNAÎTRE LES BOURDONS

Alors que les producteurs de bleuets sont de plus en plus nombreux à miser sur les bourdons pour la pollinisation, des projets de recherche sont en cours pour en savoir plus à son sujet.

Au total, le SPBQ a investi 105 000 $ sur trois ans pour améliorer les connaissances sur les pollinisateurs, dans un projet de recherche dénommé Apibleumax. Étant donné que le bourdon prend sa place dans l’éventail d’options sur le marché, une partie de ce montant est dédié à la recherche sur les bourdons. Le producteur de bourdons Biobest et le revendeur Steeve Lepage ont d’ailleurs injecté 36 000 $ sur trois ans, fournissant notamment les bourdons et les champs de bleuets pour la recherche.

Étudiante au doctorat à l’Université Laval, Ana Maria Quiroga Arcila participe notamment au projet Apibleumax. Elle passera six semaines dans 12 bleuetières du Lac-Saint-Jean avec son équipe de recherche, entre la mi-mai et la fin juin, pour travailler sur sa thèse qui porte sur l’optimisation de la pollinisation du bleuet nain et l’évaluation de la santé des bourdons et de l’abeille domestique.

«Il y a eu certaines problématiques avec la disponibilité des abeilles domestiques, notamment l’année dernière, quand il y a eu une forte mortalité hivernale, soutient Ana Maria. Les bourdons sont donc devenus super importants pour la pollinisation.»

Avec son équipe, elle testera différentes densités de ruches d’abeilles et de colonies de bourdons pour connaître leur nombre optimal dans les conditions québécoises. De plus, elle souhaite déterminer l’impact de la pollinisation sur la santé des abeilles et des bourdons.

Lors de la visite du Quotidien, elle était accompagnée de six auxiliaires et professionnels de recherche, notamment pour peser les colonies, examiner les excréments pour connaître les pathogènes ainsi que la teneur du pollen pour savoir s’il contient des pesticides.

Il y a un grand intérêt envers le bourdon, car c’est un pollinisateur plus efficace que l’abeille domestique. «Ça va lui prendre moins de visites à la fleur pour la polliniser», dit-elle, expliquant que le bourdon bat des ailes plus vigoureusement, ce qui facilite la dispersion du pollen. Elle précise également que les bourdons distribués par les entreprises ontariennes sont une variété de bourdons sauvages indigènes, dénommée Bombus impatiens.

La biologie des insectes est toutefois bien différente, car une ruche d’abeilles peut compter jusqu’à 80 000 individus, alors que l’on compte 500 bourdons dans une ruchette. Chaque pollinisateur présente des avantages et des inconvénients.

LES QUALITÉS DES BOURDONS

Chaque pollinisateur a des qualités distinctes. «Tous les insectes pollinisateurs sont utiles et les bourdons permettent de diversifier les forces», soutient Steeve Lepage. En plus d’utiliser les bourdons qu’il vend, il exploite ses propres ruches et il fait des tests de reproduction de mégachiles pour être le plus autonome possible.

«Naturellement, une diversité de pollinisateurs permet de garantir une pollinisation efficace», estime Ana Maria Quiroga Arcila.

Les fleurs de bleuets sont généralement ouvertes pour une période de cinq jours et il faut plusieurs visites d’insectes pour assurer la pollinisation, ajoute cette dernière.

Étant donné que les fleurs émergent à différentes périodes, il est important d’avoir une diversité d’insectes, remarque pour sa part Steeve Lepage. «Ça prend une

«Les producteurs souhaitent réduire le risque en diversifiant les sources de pollinisateurs»

— Gervais Laprise, directeur général du Syndicat des producteurs de bleuets du Québec

armée au complet pour polliniser les millions de fleurs, parce que c’est ça qui fait les rendements», dit-il.

Un des grands avantages du bourdon est son aspect robuste et sa capacité à travailler de longues heures dans les conditions difficiles. «Dès qu’il fait 5 degrés, ils travaillent», remarque Steeve Potvin.

En cette matinée fraîche lors de la visite du Quotidien, il faisait environ 6 degrés et les bourdons étaient bel et bien à l’oeuvre, butinant les pissenlits. Ces derniers sont aussi en mesure de travailler même quand il vente et qu’il pleut, mais ils sont presque inertes s’il fait trop chaud, par exemple à 30 °C.

Les abeilles, de leur côté, sont meilleures à travailler quand il fait chaud, mais elles ne pollinisent pas s’il fait moins de 12 °C, quand il vente ou s’il pleut.

Les mégachiles, un insecte pollinisateur importé de l’Ouest canadien, sont pour leur part les plus efficaces lorsqu’il fait très chaud.

Le bourdon voyage aussi bien moins loin de sa ruchette, soit à environ 500 m, alors que l’abeille domestique couvre un rayon de 4 km autour de la ruche.

Cette caractéristique est bien appréciée des producteurs de bleuets qui ont parfois l’impression de payer des abeilles qui vont butiner dans les champs des voisins.

La production de bourdons est aussi plus stable, car ils sont produits en laboratoire. Ainsi, la livraison des bourdons ne dépend pas des aléas de la nature qui dicte la survie hivernale, comme c’est le cas avec les abeilles. «Quand un producteur commande une boîte de bourdons, il est sûr qu’il va la recevoir», remarque Steeve Lepage.

Ce dernier a également développé un système de protection des boîtes de bourdons, car ces dernières sont très prisées par les ours, qui dévorent les larves. Une cage de protection permet non seulement de protéger les bourdons de la prédation, mais aussi du soleil, car la chaleur les rend moins efficaces.

ACTUALITÉS

fr-ca

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

https://lesoleil.pressreader.com/article/281663964383575

Groupe Capitales Media