LeSoleilSurMonOrdi.ca

Urgence à l’urgence

YVON LAPRADE CHRONIQUE Collaboration spéciale

Ça remonte à quand, votre dernière visite à l’urgence? Combien d’heures avez-vous patienté, assis sur une chaise droite, avant de voir un médecin? Six heures? Douze heures?

Comme dirait le légendaire Yvon Deschamps : «Vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade.»

Disons les choses telles qu’elles sont : si vous n’avez pas les moyens de vous payer une consultation à plus de 200 $ dans une clinique privée, vous n’avez d’autre choix que de vous rendre à l’urgence pour voir un médecin aux yeux cernés.

Parce qu’il faut savoir, et comprendre, que ce ne sont pas tous les Québécois qui ont le privilège d’avoir un médecin de famille, malgré la promesse faite par le gouvernement de François Legault.

En attendant, vous pouvez toujours appeler le 811 et parler à une infirmière. Peut-être bien qu’elle vous dirigera vers une clinique, peut-être bien aussi qu’elle vous dira que votre seule option, c’est de vous rendre à l’urgence et de passer des heures et des heures assis sur une chaise droite...

Nous savons tous que la crise dans les urgences ne date pas d’hier. Cela fait des décennies que les gouvernements et les ministres de la Santé qui ont occupé cette fonction nous promettent des améliorations qui ne viennent pas.

Durant son «règne», Marc-Yvan Côté avait créé un groupe tactique, une sorte de police des urgences, comme l’a rappelé la journaliste Anne-Louise Despatie, dans un reportage éclairant à Radio-Canada.

Gaétan Barrette, qui ne s’est pas fait que des amis alors qu’il était à la Santé, a déjà dit qu’il fallait «faire sortir des patients qui prennent des lits et qui ne devraient pas».

Même le premier ministre François Legault, qui a été ministre de la Santé dans une autre vie, en 2002, avait instauré un «bulletin des urgences».

Comme quoi...

Vingt ans plus tard, c’est son ministre de la Santé et fidèle compagnon de route, Christian Dubé, qui promet de s’attaquer à ce problème chronique qui mine notre moral et notre santé. Souvenonsnous qu’il a créé, le 26 octobre 2022, une cellule de crise. Il disait alors vouloir libérer des lits sur les étages afin de désengorger les urgences.

Libérer des lits, on veut bien, mais encore faut-il qu’il y ait du personnel — des infirmières, des médecins — pour s’occuper des patients qu’on fait «monter» aux étages après avoir passé plus d’une quinzaine d’heures, et même davantage, sur une civière.

ENCORE TROP PEU

Qu’est-ce qui ne va pas dans la gestion des urgences? Comment expliquer que la durée moyenne de séjour des personnes en attente sur une civière était de 17h06, pas plus tard que mercredi?

Cette statistique — qui en vaut bien d’autres... — se trouve sur le site Internet du gouvernement du Québec. On y apprend en outre que 1643 personnes attendaient de voir un médecin à l’urgence dans l’ensemble du réseau.

À l’hôpital de Hull, le taux d’occupation était affolant, avec un gros 180 %. À l’hôpital de Granby, ce taux atteignait 155 %, tandis qu’à l’hôpital du Centre-de-la-Mauricie, à Shawinigan, il se situait à 111 %.

Sur ce même site, on nous informe qu’il existe «d’autres options que l’urgence» et que «pour plus d’efficacité», on doit trouver «le bon service, par la bonne personne, au bon moment».

On croirait entendre une pub d’une firme immobilière...

On ne peut reprocher au ministre Dubé de vouloir changer les choses, tout comme on peut avoir de la sympathie envers les infirmières qui se tapent des heures supplémentaires obligatoires pour éviter que le système ne dérape davantage. De même, on doit faire preuve de compréhension envers les médecins qui font leur possible, et parfois même l’impossible, pour maintenir des services de qualité... moyenne.

Il y a toutefois un bémol. Comment se fait-il qu’il n’y ait souvent qu’un seul — un seul! — médecin à l’urgence durant la nuit, dans bon nombre d’hôpitaux de la Belle Province?

Est-ce un manque de coordination de la part des gestionnaires? Serait-ce parce que les médecins préfèrent travailler de jour et dans les cliniques privées?

CYCLE INFERNAL

Si on veut mettre fin à ce cycle infernal, il faudra prendre le temps de poser les bonnes questions à ceux et celles qui vont au front, jour après jour, souvent dans des conditions exécrables. Dans le réseau de la santé, ce n’est pas ce qui manque, des infirmières et des médecins vaillants et compétents.

Chose certaine, il faut cesser de se mettre la tête dans le sable et faire comme si tout allait finir par s’arranger. La population est vieillissante et elle aura de plus en plus besoin de soins. Nous serons tous vieux, nous serons tous vieilles, un jour...

L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) vient de nous rappeler que les 65 ans et plus comptent désormais pour 20,8 % de la population. En 2031, ce sera 25 %, soit un Québécois sur quatre.

«C’est en travaillant sur les soins aux aînés qu’on va régler le problème des urgences», m’a expliqué le Dr David Lussier, gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

Si on veut en prendre soin, il faudra les diriger au bon endroit, et pas nécessairement dans les hôpitaux débordés.

Chiffres à l’appui, il constate que pas moins de 4116 personnes âgées sont en attente d’une place en CHSLD. De ce nombre, un peu plus de 1000 d’entre elles sont à l’hôpital.

Or, le gériatre estime que de 10 à 20 % des lits d’hôpitaux sont occupés par des patients qui ne devraient pas être là...

«Un hôpital et son urgence ne peuvent pas fonctionner quand 20 % de ses lits sont occupés par des patients qui devraient être ailleurs. En plus des lits fermés par manque de personnel», a-t-il écrit sur son compte Twitter.

Il persiste et signe.

«Ça prend des changements majeurs», insiste-t-il.

Après la cellule de crise sur les urgences, faudrait-il une cellule de crise sur les soins aux aînés?

«Il y a clairement un manque de coordination et de responsabilisation dans le réseau, et des façons simples d’améliorer la situation», considère-t-il.

On ne demande qu’à le croire.

ACTUALITÉS

fr-ca

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

https://lesoleil.pressreader.com/article/281814288238935

Groupe Capitales Media