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LE DIABLE, UN ANGE ET LE DEUIL, 30 ANS PLUS TARD

ISABELLE LÉGARÉ CHRONIQUE isabelle.legare@lenouvelliste.qc.ca

Sylvain Simard aime croire que Nathalie est son ange gardien. Il y a 30 ans, la femme de sa vie est décédée tragiquement, à sept mois et demi de grossesse, emportant avec elle leur enfant à naître. Depuis ce jour, l’homme avance sur la route du deuil. D’abord dans la noirceur d’une descente aux enfers, maintenant, et de plus en plus, éclairé par une lumière qu’il laisse rejaillir en lui.

Gérant d’artistes depuis une douzaine d’années, Sylvain Simard a auparavant fait carrière en tant qu’animateur et directeur des programmes de différentes stations de radio au Québec. Son passage à Trois-Rivières remonte au début des années 90. Sa voix a résonné au micro de CIGB-FM, devenu Énergie 102,3 Mauricie.

Sylvain habite à Montréal depuis près de 25 ans, mais Trois-Rivières demeure une ville marquante, où il fait bon revenir. L’aîné de ses trois enfants y est né, plusieurs amis y habitent toujours et c’est ici que sa belle Nathalie repose en paix.

«Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais je me sens toujours bien à Trois-Rivières, comme à la maison. Chaque fois, je vais au cimetière...» m’a-t-il dit avant d’amorcer le récit d’une période frappée par la mort et noyée par l’alcoolisme.

Trois-Rivières, 19 mars 1993. Sylvain, 26 ans, et Nathalie, 23 ans, filent le parfait bonheur. Nouvellement mariés, ils attendent la venue de leur premier enfant, un garçon qui s’appellera Anthony.

Ce soir-là, Nathalie devait assister avec Sylvain à un gala de boxe, mais sentant la fatigue du dernier trimestre la rattraper, la jeune femme avait préféré se reposer. C’est le père de celle-ci qui avait finalement accompagné le populaire animateur de radio à cet événement très couru.

«Juste avant les combats, alors qu’on était déjà installés, plusieurs personnes m’avaient reconnu et étaient gentiment venues me saluer. Je me rappelle : mon beau-père avait été fort étonné de voir autant de gens s’arrêter pour me parler, me serrer la main. Pendant tout ce temps, l’alcool coulait à flots. Je me croyais au-dessus de tout, alors qu’en vérité, ma dépendance à l’alcool était déjà bien installée. Je ne m’étais pas complètement défoncé, mais j’avais tout de même beaucoup trop bu.»

C’est ce que Sylvain Simard écrit dans son livre Le diable sur mon épaule (Performance Édition). L’auteur dépeint sa jeunesse auprès d’un père alcoolique de même que ses débuts professionnels, entre ses émissions de radio, l’animation dans les bars et les soirées arrosées.

Sylvain avait réduit les abus d’alcool depuis sa rencontre avec la sage Nathalie dont il était follement amoureux, mais le risque de boire avec excès demeurait présent... élevé.

«Quand ça va bien, tu consommes. Quand ça va moins bien, tu consommes...» résume celui qui ignorait qu’il était alors un alcoolique «épisodique», capable de s’abstenir pendant quelques jours avant de recommencer à boire de plus belle.

En ce 19 mars 1993, le combat principal du gala de boxe débutait à peine lorsqu’un placier lui a glissé à l’oreille que sa femme venait de partir pour l’hôpital, vraisemblablement pour y accoucher.

Sylvain se souvient d’avoir entendu «Félicitations!» tandis qu’il se précipitait, inquiet, au chevet de Nathalie qu’il a retrouvée non pas dans une chambre de naissance, mais aux soins intensifs. Elle avait été victime d’une crise d’éclampsie, suivie de deux arrêts cardiaques dont le dernier avait été fatal. Le coeur du bébé dans son ventre s’était aussi arrêté, à jamais.

L’homme s’est effondré, plongé dans le brouillard.

«Tu es dans un autre monde. Tu n’avances plus. Tu tournes en rond et ça a duré longtemps...»

Sylvain se souvient d’être sorti de l’hôpital le regard vide, en croisant des gens qui ne pouvaient pas deviner le malheur qui s’abattait sur lui.

Le choc de la mort de Nathalie a été brutal et le deuil, décuplé. Abandonné à lui-même, Sylvain Simard n’a pas pu se préparer à la perte soudaine et cruelle de son grand amour. Quelques heures avant de cesser de respirer dans ses bras, son épouse était venue l’embrasser à la station de radio. Elle respirait la joie de vivre.

Après une tentative de suicide, Sylvain a engourdi ses émotions dans le travail et la boisson. À la fermeture des bars, il lui arrivait d’aller se recueillir sur la pierre tombale de Nathalie, de lui fredonner des chansons jusqu’au lever du jour.

«Je me sentais tellement coupable. J’étais jeune, je consommais en cachette, je posais des gestes répréhensibles. C’est moi qui devais mourir, pas Nathalie.»

Il a vu des psychologues, il a fait des thérapies, des gens ont voulu l’aider, mais...

«Perdre un proche, un membre de sa famille, c’est assurément la chose la plus difficile à gérer... Comment te relever de ça? C’est difficile à expliquer. Je ne voyais pas — et je ne prenais pas — le bon chemin.»

Sylvain a poursuivi sa carrière, a été de nouveau en couple, est devenu père à trois reprises, s’est séparé...

«J’avais deux vies en parallèle. J’inventais des 5 à 7, des lancements d’albums...»

Il mentait aux autres et à luimême pour multiplier les occasions de boire, à l’abri des regards.

«Je travaille comme un fou. J’ai le droit de m’amuser.»

Sylvain avait toujours une bonne raison pour prendre un coup.

«Je ne sais pas comment je faisais... J’étais dans le déni et dans l’hypocrisie.»

Jusqu’au jour où il s’est dit : «Là, c’est assez. Je dois passer à une autre étape».

Sylvain Simard a cessé de consommer de l’alcool en 2018, sous les encouragements de ses proches et avec le soutien de la Maison Jean Lapointe. Cette étape n’a pas été facile à franchir, mais un 24 heures à la fois, il a renoué avec un mode de vie sain et équilibré.

«[…] Je me trouve tellement privilégié qu’en dépit de tous les tristes moments de ma vie, j’ai eu un magnifique noyau familial fait de ces trois bijoux. Aujourd’hui et pour toujours, mes enfants sont ma force et ma raison de vivre» a-til écrit dans son livre où il se révèle en toute franchise.

«Je n’ai plus envie de boire. Je n’ai plus besoin de l’effet de l’alcool. Je suis tellement bien! Maintenant, je suis dans la transparence envers moi-même.»

Avant, Sylvain Simard gardait tout en dedans et trouvait réconfort en s’enivrant. Aujourd’hui, il dit prendre un pas de recul et aspire à la sérénité en faisant de la méditation, entouré de sa conjointe, des membres de sa famille et de ses amis qui n’ont jamais cessé de croire en lui.

Trente ans plus tard, Sylvain ne pourra jamais oublier Nathalie et encore moins les circonstances dramatiques de son décès.

«Je ne peux pas mettre ça en arrière de moi. Je dois vivre avec...»

En ne cherchant plus à repousser les difficultés pouvant se présenter sur sa route.

«Je les règle au fur et à mesure», ajoute l’homme avec le souhait d’aider son prochain, celui ou celle qui se reconnaît peut-être à travers son histoire marquée par la mort d’un être cher, le deuil sans fin et la souffrance de la dépendance.

«Parle avec des amis. Va rencontrer un psychologue, un médecin. Tu as le droit de demander de l’aide. Ce n’est pas facile, mais tu as besoin d’exprimer ce que tu vis. C’est le plus beau cadeau que tu peux te faire.»

C’est ce qu’il a décidé de s’offrir après toutes ces années sans Nathalie qui vit en lui. Sylvain Simard a intériorisé les forces de celle dont le souvenir ne s’éteindra jamais.

«Les anges gardiens ne sont pas là pour te sauver, faire les choses pour toi. Ils sont là pour te guider. Clairement, Nathalie m’a toujours accompagné.»

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