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POUR L’AMOUR DES FEMMES (ET SA VISIBILITÉ)

VALÉRIE MARCOUX vmarcoux@lesoleil.com

«Les femmes qui aiment les femmes : voilà ce qu’on veut mettre en valeur avec Ciseaux», annonce Mélodie Noël Rousseau, cocréatrice de ce cabaret-documentaire où elle met ses talents de drag king au service de l’histoire lesbienne.

Même quand ils incarnent des femmes, les hommes continuent de prendre plus de place dans l’espace public que leurs consoeurs.

Ce paradoxe est devenu évident pour Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle quand elles se sont lancées dans l’art de la drag il y a quelques années.

La discrimination que vivent les drag kings reflète en quelque sorte le sexisme vécu par les femmes de la communauté LGBTQ2+.

Les hommes gais ont laissé plus de traces dans l’histoire et demeurent à ce jour plus visibles que les lesbiennes. Il faut dire que les personnes s’identifiant comme des femmes se butent au sexisme avant même d’affirmer leur orientation sexuelle.

Avec Ciseaux, le duo veut mettre en lumière l’amour, l’histoire et les luttes des femmes qui aiment les femmes.

«C’est beau de voir notre amour représenté», affirme Mélodie Noël Rousseau.

«Dans le spectacle, on s’embrasse. C’est un acte politique de montrer ces baisers-là. C’est important d’occuper l’espace public», avance l’artiste connue pour son personnage de drag king Rock Bière.

La présence anémique des femmes dans les Archives gais du Québec a incité le duo à se tourner vers des sources humaines pour déterrer l’histoire moins bien documentée des lesbiennes.

À titre d’exemple, Mélodie Noël Rousseau mentionne la descente policière survenue en 1977 au Truxx, un bar pour hommes gais de Montréal.

«Cette descente policière, qui a été très marquante, a influencé notre histoire queer dans nos avancements pour nos droits», soutient-elle.

«Ç’a été documenté parce que ça s’est passé chez les hommes, alors que la descente au Jelly’s — qui est un bar de femmes — ça, il n’y a pas de traces. Il a fallu aller rencontrer une personne qui était derrière le bar à cette époque et qui a vécu la descente», ajoute-t-elle.

RENCONTRE MARQUANTE

Les deux créatrices de Ciseaux ont aussi rencontré des personnalités connues comme Safia Nolin, Judith Lussier, Susanne Serres et plusieurs autres. Leur rencontre avec Diane Heffernan a été particulièrement marquante.

«C’est une lesbienne radicale séparatiste», précise Mélodie Noël Rousseau.

Diane Heffernan a fait partie d’une commune de femmes rejetant tout contact avec les hommes. Elle conserve un nombre intéressant de documents d’archives qui ont permis aux artistes d’approfondir leur sujet.

«Comme elle a promis aux personnes qui apparaissent sur les films de ne jamais les diffuser au grand public, il n’y a que des lesbiennes qui ont accès à ça», précise-t-elle.

«C’est fou de se dire que ça va peut-être se perdre, ce savoir lesbien. On en parle de ce paradoxe [dans le spectacle] : on dit qu’on est invisibilisées, mais il faut garder nos archives secrètes par respect pour les gens qui n’étaient pas visibles à l’époque...» ajoute l’artiste.

UNE EXPÉRIENCE DÉCOMPLEXÉE

La formule cabaret est bien populaire au Carrefour international de théâtre de Québec cette année. En plus de Ciseaux, deux autres productions ont choisi cette forme pour se déployer.

Ce type de spectacle est très près de l’univers dans lequel évolue le duo de drag kings.

Faisant appel à plusieurs costumes et accessoires, cette formule leur permet d’interagir librement avec le public en plus d’enchaîner des saynètes et des performances éclectiques allant du lip synch à la projection d’archives.

Complices dans la vie comme sur scène, Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle se réapproprient les stéréotypes attachés aux lesbiennes pour mieux en rire, s’en affranchir, mais aussi les expliquer.

La position sexuelle évoquée par le titre du spectacle, la peur de commander des moules au restaurant, la tarte aux poils : tout y passe!

«C’est vraiment des montagnes russes d’émotions Ciseaux : on fait rire et après c’est un peu plus difficile. Entre autres, il y a des archives de violences policières qui sont difficiles à voir», mentionne l’artiste.

Le duo a aussi intégré un extrait où on peut entendre l’auteur du livre La fin de l’homosexualité et le dernier gay (2017), Éric Duhaime.

«On fait jouer l’extrait où il mentionne que c’est fini les luttes et qu’on n’a plus notre place à faire», dévoile Mélodie Noël Rousseau.

En venant présenter Ciseaux au Théâtre La Bordée à Québec du 29 au 31 mai, elle espère que le politicien assistera à l’une des représentations.

«On prône beaucoup la joie queer. On veut montrer qu’on est bien, qu’on est normal, que ce n’est que de l’amour ou de l’expression de soi», conclut-elle au sujet de cette production de la compagnie queer et féministe Pleurer Dans’ Douche.

Après Rock Bière : le documentaire et Ciseaux, celle-ci travaille sur un troisième spectacle : Explosion.

«On va péter des concepts», annonce Mélodie Noël Rousseau au sujet de cette nouvelle création explorant les objets et la mémoire.

ARTS

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2023-05-27T07:00:00.0000000Z

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