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La pluie, le vent, le soleil comme outils d’apprentissage

L’unité mixte de recherche Petite enfance, grandeur nature vise à étudier et à encadrer l’approche de l’éducation par la nature

par Alexandra Perron

Dans la nature, une branche peut devenir une baguette magique, un crayon ou une brosse à dents pour de petits enfants. Les rochers sur lesquels ils grimpent et les troncs d’arbre qu’ils enjambent stimulent leur motricité. Ils construisent des abris et inventent des mondes avec leurs amis. Ils se posent mille et une questions sur la pluie, le vent, le soleil et les éléments qui changent autour d’eux. « C’est un milieu enrichi et complexe qui devient propice pour apprendre et se développer », soutient Caroline Bouchard.

Professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval et psychologue du développement de l’enfant en contextes éducatifs, elle s’intéresse à l’éducation par la nature depuis quelques années. Inspirée d’expériences toscanes, scandinaves et nordaméricaines, cette approche connaît un engouement au Québec. Si ce retour aux sources a du sens en cette époque postpandémique, où l’utilisation des écrans a explosé, « ce n’est pas une formule magique, prévient la professeure Bouchard, c’est une démarche qui se fait à long terme ».

Le 23 mai, au CPE JoliCoeur, à LacBeauport, elle a lancé l’unité mixte de recherche (UMR) Petite enfance, grandeur nature, dont elle est directrice. Cette nouvelle entité, créée en partenariat avec l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) ainsi que les ministères de l’Éducation, de la Famille, et de la Santé et des Services sociaux, se donne pour mission de faire le plein de connaissances sur le sujet.

Que ce soit en CPE, en service de garde en milieu familial ou à la maternelle, l’éducation par la nature prend plusieurs formes : prendre l’autobus pour aller en forêt, amener la nature dans le local ou dans la classe, naturaliser une cour…

« C’est un concept assez large. On aimerait tracer des lignes franches pour savoir dans quelles conditions, dans quel contexte ça a des effets sur l’apprentissage ou le développement. Estce que c’est quand on va en milieu naturel une fois ou deux fois par semaine? Quand on est dans une cour naturalisée ? interroge tout haut la directrice de l’UMR en entrevue à ULaval nouvelles . On est vraiment rendus à mieux comprendre comment ça se met en oeuvre. »

DÉJÀ 50 CPE ENCADRÉS

Alors que les initiatives se multiplient au Québec, 50 CPE sont déjà accompagnés par l’AQCPE, partenaire de recherche depuis le début, précise Caroline Bouchard.

« Ça semble simple, mais ce n’est pas juste de laisser les enfants jouer dehors. Il y a des prises de risque en milieu naturel, il faut s’assurer que c’est sécuritaire et qu’on a des visées éducatives, il faut avoir des interventions de grande qualité », poursuitelle.

Les parents québécois sontils prêts à laisser leur progéniture patauger dans la boue et manipuler des branches ? « C’est souvent la première préoccupation des milieux qui se demandent s’ils embarquent ou pas dans l’aventure, répond la professeure. Mais en début d’année, les parents sont rencontrés, on leur explique l’approche de l’éducation par la nature, les bienfaits pour leur enfant. On les invite à venir à une sortie pour qu’ils puissent s’imprégner de ce qui se passe. Les CPE dans le projet vont même jusqu’à fournir la grenouillère et les mitaines aux enfants en hiver pour s’assurer que tout le monde va en bénéficier. »

La professeure Bouchard souligne qu’il y a toujours deux éducateurs ou éducatrices en nature, que les groupes sont formés en respectant le ratio d’enfants par adulte. « Ça fait beaucoup la force de l’approche. Souvent, une éducatrice choisira de surveiller pendant 30 minutes, de s’occuper de la sécurité en se promenant, tandis que l’autre va soutenir les apprentissages. »

Selon la dernière Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle, 27,7 % des enfants de maternelle sont vulnérables dans au moins un domaine de développement et cette proportion grimpe à 41 % chez les enfants dont la famille est considérée comme étant à faible revenu. Parallèlement, il y a une pénurie de maind’oeuvre dans les services éducatifs et d’autres études montrent que le soutien à l’apprentissage se situe à des niveaux faibles mondialement. La directrice de l’UMR voit l’éducation par la nature comme une solution innovante à ces enjeux contemporains.

PAS DE MATÉRIEL COMMERCIAL NI D’HORLOGE

L’absence de matériel commercial devient, par exemple, un atout pour stimuler la créativité. Les enfants doivent utiliser ce qu’ils ont sous la main pour jouer, il y a beaucoup d’interactions entre eux, ditelle, ce qui est très riche sur le plan du développement.

Selon de récentes études, poursuit la professeure, le sentiment de bienêtre ressenti dans la nature viendrait accroître la capacité d’attention des enfants. Ils seraient plus disposés à apprendre. Et les bienfaits ne sont pas réservés qu’aux petits. « Les adultes qui participent à nos projets nous le disent, ils ressentent aussi ce bienêtre. Dans la nature, ils n’ont pas à désinfecter, à planifier; il n’y a pas d’horloge. C’est comme si les éducateurs et éducatrices devenaient pleinement disponibles pour les enfants. »

En prime, ajoute la professeure, les petits s’attachent à la nature, ce qui éveille leur sensibilité écologique et contribuera à faire d’eux des citoyens engagés et écoresponsables.

L’équipe de Caroline Bouchard a réalisé un coup de sonde auprès de 245 parents, qui ont répondu à un questionnaire un an après que leur enfant ait goûté à l’éducation par la nature. « Dans une proportion autour de 75 %, ils ne vivaient plus de défis ou d’inquiétude sur le plan de la santé et de la sécurité de leur enfant. »

Les chercheurs ont aussi voulu savoir comment le développement de l’enfant avait évolué. « On a été étonnés, lance la professeure, on s’attendait à ce que les parents nous disent que les petits avaient grandi, qu’ils couraient plus vite. Mais ce qui est ressorti, c’est une plus grande curiosité, une attitude de chercheur : ils se posent des questions ! »

Des parents d’enfants ayant des besoins de soutien particulier ont aussi remarqué chez leurs bouts de chou une baisse d’anxiété, une plus grande confiance en eux et une meilleure intégration au groupe. « Le milieu naturel, c’est la meilleure salle de motricité et l’enfant n’est pas séparé de ses pairs pour aller faire des exercices dans une salle de motricité avec un spécialiste », explique Caroline Bouchard.

Pour elle, ces réponses et commentaires des parents sont autant de pistes à approfondir et à étudier. Un des objectifs de l’UMR est d’ailleurs de créer un environnement favorable à la relève scientifique. « Il y a de plus en plus d’engouement pour l’éducation par la nature chez les étudiants de deuxième et de troisième cycles, c’est un nouveau champ en friche. Ça peut même nous donner des pistes sur ce qu’on peut améliorer en milieu conventionnel », suggère la professeure, en pensant à l’absence d’horloge, au sentiment de bienêtre des éducateurs et des éducatrices et à leur plus grande disponibilité pour les enfants.

INTERVENIR AUPRÈS DU PLUS GRAND NOMBRE

Caroline Bouchard est psychologue, en plus d’être professeure. La piqûre des toutpetits, elle l’a eue en travaillant comme éducatrice remplaçante pendant sa maîtrise. Elle a ensuite fait un doctorat en psychologie à l’Université Laval, puis un postdoctorat en orthophonie chez les petits à l’Hôpital SainteJustine. « Je me suis aperçue que je ne voulais pas faire de consultation un à un, mais intervenir auprès du plus grand nombre et de façon préventive. »

Le local, le service de garde, la classe de maternelle allaient devenir ses terrains de prédilection. « La petite enfance est une période fondatrice pour tout le reste du développement de la personne. »

Selon elle, les milieux éducatifs doivent être porteurs pour les enfants, respecter ce qu’ils sont, et ce, audelà de vouloir les préparer à tout prix pour l’école. « Apprendre à écrire, c’est d’abord travailler les grands muscles, puis toute la motricité fine, dans toutes sortes de situations authentiques », plaide la professeure.

Quand elle a découvert l’éducation par la nature, elle y a vu beaucoup de potentiel. Elle travaille aujourd’hui avec celle qui a contribué, avec d’autres, à faire naître cette approche dans les quartiers centraux de Québec, Michèle Leboeuf, devenue coordonnatrice du projet A LE X–Éducation par la nature de l’AQCPE, puis finalement professionnelle de recherche dans l’UMR.

Dans les prochains mois et les prochaines années, l’UMR veut mobiliser les troupes, faire rayonner les connaissances scientifiques, mais aussi souligner les bons coups qui se font dans les milieux. « On a travaillé avec Marianne Dubuc, une illustratrice jeunesse, pour diffuser à large échelle les faits saillants de nos résultats. Puis à chaque affiche correspond un épisode d’un balado où l’on ira un peu plus loin », dévoile Caroline Bouchard. Intitulée

Regard croisé sur l’éducation par la nature , la série offrira les perspectives de personnes de la recherche et de personnes sur le terrain.

BROSSER UN PLUS LARGE PORTRAIT

L’équipe de recherche compte aussi explorer ce qui passe audelà des 50 CPE à l’étude. « Il y a tellement de milieux, y compris des classes de maternelle, qui font de l’éducation par la nature de façon autonome et indépendante. On aimerait brosser un portrait de ce qui se fait au Québec en travaillant avec nos partenaires, le ministère de la Famille et le ministère de l’Éducation notamment. L’UMR concerne les enfants de 0 à 6 ans. La suite des choses est de développer davantage de liens avec les milieux scolaires pour vraiment travailler la continuité éducative de l’approche », conclut la professeure Bouchard.

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2023-05-27T07:00:00.0000000Z

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